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Expositions

  • 350 ans de création - Exposition à la Villa Médicis

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    L'Académie de France à Rome célèbre les 350 ans de son existence avec une grande exposition à la Villa Médicis :

    350 ANS DE CRÉATION
    les artistes de l’Académie de France à Rome
    de Louis XIV à nos jours

    L’exposition, qui se tient du 14 octobre 2016 au 15 janvier 2017 et dont j'ai assuré le commissariat, permet de découvrir l’activité créatrice des artistes de l’Académie de France à Rome, pensionnaires et directeurs, lors de leur séjour romain.

    Elle présente plus d’une centaine d’œuvres créées à l’Académie de France à Rome de 1666 à nos jours par des artistes tels que Fragonard, David, Ingres, Berlioz, Garnier, Carpeaux, Debussy et Balthus. Le parcours se termine par une installation vidéo due à Justine Emard mettant en scène les œuvres de pensionnaires des dernières décennies.

    L'exposition est complétée par la programmation de deux concerts consacrés aux compositions d'anciens pensionnaires les jeudis 17 novembre et 8 décembre 2016. 

    Le projet est accompagné par deux autres expositions organisées à Rome par l’Accademia Nazionale di San Luca et l’Accademia di Belle Arti di Roma sur les relations entre les deux académies romaines et l’institution française.

    Ces trois expositions se concluront par un colloque organisé par les trois académies les 11, 12 et 13 janvier 2017 et intitulé Les Académies artistiques entre héritage et débats artistiques contemporains.

    Le catalogue de l’exposition de la Villa Médicis est publié par Officina Libraria (en français et en italien).

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  • Exposition Charles Le Brun

    Formidable exposition Charles Le Brun au Louvre Lens actuellement ! Coysevox.jpgLa dernière rétrospective un peu globale sur l'artiste datait de 1963 (par Jacques Thuiller à Versailles) et il reste toujours difficile de comprendre pourquoi les monographies sur le premier peintre de Louis XIV étaient depuis cette date pour ainsi dire inexistantes. Pourquoi cet artiste à l'activité si prodigieuse, à l’œuvre si central dans la culture française du Grand Siècle a dû attendre 2016 pour être célébré comme il se doit ? Peu importe en définitive car cette longue maturation a finalement abouti à une exposition parfaitement réussie, dont le commissariat est assuré par Bénédicte Gady et Nicolas Milovanovic, et à un catalogue somme. Il y avait bien eu quelques études ponctuelles sur des chantiers particuliers (de plus en plus nombreuses d'ailleurs ces derniers temps), l'inventaire des dessins du fonds du Louvre (2000) et naturellement la remarquable thèse de Bénédicte Gady. Nous avons désormais ce beau catalogue d'exposition, mais nous attendons impatiemment aujourd'hui la monographie chez Arthena, souvent annoncée et devant paraître prochainement.

    712202267_B978684881Z.1_20160518104143_000_GQO6QDABB.3-0.jpgL'un des premiers mérites de cette exposition est de faciliter le contact avec la peinture de Le Brun souvent très dispersée, mal visible dans les églises, cachée dans les collections privées. Voici qu'aujourd'hui on peut VOIR Charles Le Brun. Le Saint Jean à la porte Latine de Saint-Nicolas du Chardonnet si mal présenté ordinairement, sous un spot jaune infâme, apparaît à Lens dans toute sa splendeur. Les coups de pinceau d'un blanc crémeux sont superbes... Le drapé au centre de la Suzanne justifiée par Daniel est saisissant. Le bélier dont la laine se mêle au buisson dans le Sacrifice d'Isaac est confondant de virtuosité. Les Noces de Moïse et Séphora, l'un des tableaux de la toute fin de la vie du peintre, offrent un spectacle subjuguant.

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    Intelligente, inventive, généreuse, l'exposition met naturellement en valeur la variété exceptionnelle des activités de Charles Le Brun, montrant son actions et son intervention continuelle dans les arts décoratifs, pour les tapisseries, les sculptures, la théorie de l'art, et jusqu'aux fêtes royales...

    Souvent les expositions monographiques sont de redoutables épreuves pour les peintres qui deviennent vite lassant, répétitif et qui parfois dévoilent leur faiblesse. Le Brun est au contraire un esprit prodigieusement multiple et l'exposition comme l'artiste ne lassent jamais. C'est continuellement passionnant.

     

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    On aurait tant aimé y retourner dix fois. Cependant, le choix de cette localisation décentralisée est particulièrement cruel pour l'amateur d'art. (Avec un train qui arrive à 9h pour une musée qui ouvre à 10h, et pas un lieu pour attendre l'ouverture, aucun aménagement, pas même un banc pour s'asseoir). Heureusement, la galerie du Temps est toujours aussi agréable et stimulante.

  • Mannequin d’artiste, Mannequin fétiche

    2015-05-03 027.jpgL'enchanteur musée Bourdelle dans le 15e arrondissement de Paris propose ce printemps une exposition passionnante sur ces partenaires des artistes, les modèles non de chair et d'os, mais de fer, de bois et de tissus, ces mannequins articulés dont l'usage dans les ateliers a été beaucoup plus important qu'on ne le croit ordinairement. Comme le fait remarquer la commissaire de l'exposition, Jane Munro, conservatrice au Fitzwilliam Museum et directeur d’études en histoire de l’art à l’Université de Cambridge, l'utilisation du mannequin va à l'encontre de la vision romantique de la création qui voudrait que le peintre fasse surgir son œuvre de ses mains, par sa seule virtuosité, cette grâce divine, et non à l'aide d'une technologie mécanique, là la camera oscura, ici le mannequin d'atelier. Il est certain que le moulage d'après le corps humain pour la sculpture naguère ou l'usage d'images projetées aujourd'hui (considérablement facilité par l'utilisation très répandue du vidéoprojecteur chez les peintres figuratifs contemporains) ne sont pas sans poser des questions ou susciter des réticences.

    Mais l'exposition permet aussi d'entrer dans l'atelier de l'artiste et d'être les témoins de son travail. On touche ici à la question de la mise en œuvre et on répond à la fascination du public pour la dimension performative de la création.

    L'exposition, riche et stimulante, est à la fois thématique et chronologique. Elle s'ouvre par la boîte-théâtre de Nicolas Poussin: une reconstitution de la machine que le peintre utilisait pour caler ses compositions, en particulier à la fin des années 1630 lorsqu'il travaillait à la série des Sept Sacrements.

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    Un grand nombre de problématiques sont ensuite illustrées, comme la critique des tableaux réalisés à l'aide de ces mannequins ou encore la poésie troublante de ces corps immobiles. Les mannequins interrogent aussi le rapport au corps réel, à ses articulations internes, à son expressivité. En cela l'exposition renoue avec le travail de Philippe Comar, professeur à l’École des Beaux-arts de Paris dans son exposition de 2008 : Figures du corps, une leçon d’anatomie aux Beaux-arts dans ses galeries d’exposition.

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    La visite se prolonge poétiquement dans le reste du musée par la disposition de deux mannequins dans les salles des collections permanente. Le musée, qui est déjà en soi un lieu magique, gagne encore en mystère. Notre seul regret : encore une fois, cette absurde interdiction de la photographie dans l'exposition (mais heureusement autorisée dans le musée.)

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  • Exposition Pierre Bonnard

    2015-05-03 003.jpgPierre Bonnard (1867-1947) est aujourd'hui un artiste assez universellement célébré. Cependant, il incarna longtemps un art anti-moderne, insensible aux exigences de déconstruction des promoteurs de l'avant-garde. Il était un impressionniste égaré au 20e siècle, coupable de peindre des tableaux séduisants. Le siècle passait à côté de lui.

    Un premier effort de réévaluation eu lieu en 1984 au Centre Pompidou. Son art semblait soudainement en cohérence avec "le retour à la vérité du visible" de la création contemporaine. La rétrospective y voyait ici sa justification. Et l'éloge de Bonnard ne pouvait se faire que parce qu'il annonçait l’abstraction américaine de l’après-guerre. Comme toujours, un peintre est considéré comme important parce qu'il "annonce" ce qui vient après. On a toujours du mal à admettre que l'éloge puisse se fonder sur des qualités propres. Il faut être moderne. Pierre Bonnard n'était alors pas le mieux outillé des artistes du 20e siècle pour faire reconnaître son génie. Heureusement, à la faveur du temps qui réajuste les hiérarchies de l'art et de l'instauration d'une post-modernité qui a permis un peu de dépasser ces questions, la peinture de Bonnard a su faire entendre sa voix. En 2006, le musée d'art moderne de la Ville de Paris organisait à son tour une grande rétrospective qui avait pour ambition de convaincre de l'excellence du peintre avec un accrochage chronologique s'appuyant sur un nombre pléthorique de tableaux.

    C'est au tour du musée d'Orsay aujourd'hui de célébrer l'artiste. Le choix de l'institution est ambigu car la présentation de Bonnard dans le temple de l'impressionnisme semble confirmer l'interprétation d'un art qui ne serait pas de son siècle. En même temps, ce n'est pas faux. Mais c'est un parti-pris assez lourd de signification pour un tel artiste.

    L'accrochage au musée d'Orsay est thématique : le parcours gagne en cohérence intellectuelle et nous égare aussi parfois avec la présentation d'œuvres peintes assez tôt dans sa carrière mais accrochées vers la fin de l'exposition. On regrettera plus nettement l'absence d’œuvres de comparaison de Vuillard, de Marquet, de Matisse qui auraient fourni un contexte artistique passionnant précisément dans cet enjeux de la modernité, décidément au cœur du regard que l'on pose sur Bonnard.

    Toutefois, en dépit de cette petite réserve, on ne pourra dissimuler longtemps l'extrême bonheur que procure le déroulé somptueux des œuvres du peintre. Le sens de la couleur, de la lumière, le jeu des contre-jour, le dispute à son grand art de la composition, des cadrages, du choix des points de vue.

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    Pierre Bonnard, Nu dans un intérieur, 1912-1914

    Huile sur toile H. 134 ; L. 69,2 cm Washington, National Gallery of Art

  • Les Bas-Fonds du Baroque. La Rome du vice et de la misère

    Auparavant présentée à Rome, à la Villa Médicis, la nouvelle exposition du Petit-Palais à Paris explore le côté obscur de la Rome du XVIIe siècle. Elle s'inscrit dans le prolongement, en un certain sens, de l'exposition Bohèmes du Grand-Palais de 2012.

    Comme en 2013 pour l'exposition Jordaens du même musée, la scénographie est particulièrement inventive et tout aussi heureuse. Due au scénographe Pier Luigi Pizzi, elle s'ouvre par une spectaculaire et lumineuse présentation de la Rome des Papes, celle des grands travaux d'urbanisme, des palais et des églises, et de l'admiration pour l'art antique. Audacieux parti-pris de commencer le parcours de l'exposition avec son contre-sujet. Mais comme on sait, pour bien définir un concept, il faut avoir des idées tout aussi claires sur le concept inverse.

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    Le visiteur pénètre ensuite dans une série de salles plus petites offrant une présentation thématique. La première section est consacrée à Bacchus, figure païenne centrale de la culture du XVIIe siècle. Mais ce sera la seule évocation du monde des immortels car la suite du parcours est une exploration de la vie populaire romaine, par moment un peu fellinienne, sous l'éclairage du naturalisme le plus provocant. D'admirables tableaux sont ainsi regroupés autour des différents aspects de cette vie misérable : les Bentvueghels et la bohème, les bagarres et les beuveries, les trognes d'ivrognes et les concerts dans les tavernes.

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    Nicolas Tournier, Concert, avant 1620 Huile sur toile, 115 x 168 cm, Musée du Berry, Bourges

    On ne peut manquer de relever le contraste entre la noirceur des sujets représentés et l'excellence de la peinture. Peindre un tableau, surtout des images aussi précises, reste une activité d'un grand raffinement. Ce contraste est parfaitement exprimé dans la dernière salle de l'exposition dont la scénographie évoque l'intérieur d'un palais romain. La peinture de la misère reste un agrément luxueux. On n'aura jamais fini de s'interroger sur le goût de la haute société du XVIIe siècle pour la représentation de la disgrâce, sur la possibilité qu'offre la peinture de se délecter du spectacle d'un monde hideux auquel on échappe.

  • Exposition Charles de La Fosse à Versailles

    Le château de Versailles présente au public une très belle exposition consacrée à l’œuvre peinte et dessinée de Charles de La Fosse (1636-1716).

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    Clytie changée en tournesol
    1688, huile sur toile. H. 1,28 m ; L. 1,56 m
    Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon ; MV 7256

     

    Encore peu connu du grand public, il fut l'un des peintres les plus séduisants de son temps. D'une génération postérieure à Charles Le Brun, il reçut de nombreuses commandes royales et participa activement au décor du château de Versailles.

    En dépit d'espaces difficiles, parfois un peu étroits, l'exposition met admirablement en valeur tout le génie coloriste du peintre. La présentation est particulièrement réussie avec un accrochage pas trop haut, un excellent éclairage, une muséographie sobre et bien adaptée. La présentation est thématique et confronte intelligemment dessins et peintures.

    Le grand public peut ainsi découvrir la touche vive et les coloris séduisants de ce contemporain et ami de Joseph Parrocel. Nous avons été particulièrement sensible à la science de la composition, au groupement des figures, aux effets de grappe de raisin dont parlait entre autres Roger de Piles dans son Cours de peinture par principes. Le Renaud et Armide à cet égard est une pure merveille.

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    Renaud et Armide

    vers 1700, huile sur toile, H. 1,64 m ; L. 1,35 m

    Basildon Park (National Trust), Angleterre

    L'un des mérites de cette exposition est de présenter un grand nombre de tableaux issus de collections privées. Les cartels développés et les panneaux de salles sont très instructifs. On aurait aimé cependant par endroit deux ou trois tableaux de comparaison de Le Brun, de Jouvenet ou de notre cher Joseph Parrocel pour mieux comprendre comment se situe La Fosse au sein de son contexte artistique.

     

  • Giovanni Battista Moroni à Londres

    La Royal Academy de Londres présente pendant encore quelques jours une exposition sur le célèbre peintre du nord de l'Italie Giovanni Battista Moroni (1520-1578).

    Actif entre Brescia, Milan, Bergame et sa ville de naissance Albino, il s'est spécialisé dans le portrait.

     

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    Giovanni Battista Moroni, Prospero Alessandri, vers 1560.

     H. 105; L. 83 cm. Liechtenstein. The Princely Collections, Vaduz-Vienna.

    Les tableaux réunis à Londres sont tous, sans exception, d'une écrasante qualité. L'intensité des regards, l'élégance des vêtements, la plasticité des formes, le sens du volume sont au service d'un "réalisme" puissant qui s'impose au spectateur.

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    Giovanni Battista Moroni, Portrait d'une jeune femme, vers 1575.

     H. 51 ; L. 42 cm. Collection privée

    Structuré par un parcours thématique simple et clair, l'accrochage de la Royal Academy est très réussi. On regrettera cependant l'absence pratiquement de comparaison. C'est le danger toujours des expositions monographiques de présenter un artiste détaché de tout contexte artistique. On ne peut faire un discours sur l'histoire de l'art sans comparaison. Il aurait été utile de mettre le travail de Moroni en perspective avec les réalisations de son temps, entre Titien et Anthonis Mor, et en montrant les passerelles vers Caravage.

    Autre regret, les cartels développés ne proposent que des commentaires présentant la biographie des portraiturés (dont on se moque en réalité éperdument), passant sous silence l'essentiel : l'art.

    Enfin, on a été aussi un peu déçu par les reproductions du catalogue de l'exposition qui ne rendent pas justice à l'éblouissante qualité des tableaux du peintre.

     

     

  • Accrochage inédit et très réussi au musée Cognacq-Jay

    Il ne faut sous aucun prétexte manquer l'accrochage actuel du musée Cognacq-Jay. Ce musée de la ville de Paris dédié à l'art du XVIIIe siècle a eu l'excellente idée de proposer au grand couturier Christian Lacroix de se saisir de ses collections pour une présentation entièrement renouvelée. Cet accrochage qui ne durera qu'un temps (jusqu'en avril 2015) confronte art ancien et art contemporain dans un dialogue pleinement abouti. Ce genre de juxtaposition est de plus en plus à la mode (si je puis dire) mais il est difficile à réussir, l'art contemporain bruyant et clinquant écrasant le plus souvent l'art ancien qui demande plus de concentration et de références culturelles. L'une des plus belles réussites dans ce domaine reste selon nous la présentation - pérenne - du musée de la Chasse et de la Nature.

    Ici, même si souvent la présence de la mode et des pièces d'art contemporain est fort peu discrète, les rapprochements sont toujours dynamiques et stimulants. En effet, la présentation est structurée par une série de thèmes qui facilitent le dialogue entre art ancien et art contemporain : Sentiment et sensation, L'enfance et l'éducation, Exotismes, Le portrait et l'émergence de l'individu, Le modèle antique, etc. Pour en savoir plus, le dossier de presse : dp_lacroix_cognacq-jay_fr.pdf

    Comme le souligne très justement la directrice du musée Rose-Marie Mousseaux, le musée Cognacq-Jay est déjà une lecture orientée et sélective du XVIIIe siècle, celle des années 1900, héritière elle-même du goût Goncourt. La proposition de Christian Lacroix est à son tour une interprétation de cette lecture.

    Quelques photos prises dans ce musée qui a l'extrême bon sens d'autoriser la photographie :

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  • Attaquer le soleil

    Lagneau.jpgAprès une exposition Masculin/masculin, assez décevante il faut bien le dire, la manifestation qui se tient actuellement au musée d'Orsay sur Sade renoue avec les grandes expositions transversales du musée telles L'Ange du bizarre (2013) et surtout Crime et châtiment (2010).

    Sade. Attaquer le soleil est une exposition ambitieuse et captivante. Le nombre considérable d’œuvres présentées, la variété des supports, peintures, dessins, gravures, photographies, films, objets, la multiplication des salles avec coins et recoins dissimulés, les nombreuses et fulgurantes citations qui émaillent le parcours, noient quelque peu le visiteur mais pour son plus grand délice.

    On songe aux plus belles réalisations dans ce genre comme Posséder et détruire : stratégies sexuelles dans l'art d'Occident au Louvre en 2000 ou Mélancolie. Génie et folie en Occident au Grand-Palais en 2005.

    On espère que le catalogue, pas encore paru à l'heure où nous écrivons ce billet, sera à la hauteur de l'ambition du projet.

    L'esprit du visiteur et son imaginaire sont sans cesse sollicités. La confrontation entre des œuvres de différents siècles est particulièrement séduisante. La Renaissance offre ici son visage le plus intriguant.

    On regrettera peut-être que les thématiques ne soient pas présentées plus explicitement pour permettre de structurer davantage cette présentation fleuve des méandres mystérieux des pulsions humaines où se mêlent volupté et cruauté.

     

    Mise à jour 27 décembre 2014

    L'exposition a été assez peu appréciée en moyenne des historiens de l'art traditionnels (ce qualificatif n'est pas dans ma bouche une critique) : un compte rendu sévère et ironique se lit ici. D'autres amateurs y ont trouvé comme nous une grande satisfaction. On renverra à ce blog.

  • Pour une histoire globale de l’art

    Le musée du Louvre organise le mercredi 18 juin une grande journée d'études sur le thème de l'histoire globale de l'art.

    J'aurai le plaisir de prononcer une conférence à 17h10 présentant la naissance de la globalisation culturelle en regard avec le parcours du musée du Louvre Abou Dabi.

    Le programme complet se trouve ici.

    Cette manifestation accompagne la présentation au musée du Louvre de la grande exposition consacrée aux premières acquisitions du futur musée de la capitale des Émirats Arabes Unis.

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    Jean-Etienne Liotard (1702 - 1789)
    Portrait en pied du comte Corfiz Anton Ulfeld dans un intérieur ottoman
    Istanbul, Turquie, 1740-1741
    31,3 x 22,7 cm
    Gouache et aquarelle sur parchemin
    Louvre Abu Dhabi, Abu Dhabi LAD 2011.015
  • Paris 1900

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    Vient de s'ouvrir au Petit-Palais à Paris une exceptionnelle exposition consacrée à ce moment où Paris était la capitale du monde : Paris 1900.

    Le parcours nous plonge dans une profusion de formes et d'objets, de tableaux et de sculpture, de films et de photographies, de thèmes et de chefs d’œuvre qui crée en nous une immédiate et durable excitation. L'accrochage parvient à être extrêmement riche, dense et stimulant sans lasser par l'effet d'accumulation. La structure thématique fonctionne très bien. La scénographie est très inventive, suggestive sans être envahissante, entièrement au service du propos. De petits films d'époque sont projetés de manière très évocatrice. On soulignera aussi l'excellent principe du cartel développé qui permet d'enrichir immédiatement le regard. Le Petit-Palais frappe un grand coup avec cette manifestation.

    Même si l'exposition Jordaens était une incontestable réussite, les expositions thématiques ont toujours eu notre préférence et celle-ci est une des plus plaisantes. Il est par exemple amusant de trouver un portrait par Cézanne, Ambroise Vollard, 1899, replongé dans un contexte artistique beaucoup plus large.

    Une exposition à revisiter plusieurs fois.

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  • Mapplethorpe au Grand Palais

    "I have boundless admiration for the naked body. I worship it..."

    Le Grand palais présente une nouvelle exposition saisissante dans le petit espace où il avait présenté, il y a deux ans, la déjà très belle exposition Helmut Newton. Cette fois, nouveau photographe, il s'agit de Robert Mapplethorpe. L'accrochage, thématique, est particulièrement réussi. Sobre, puissant, élégant, racé, intense, intelligent, il sert admirablement l’œuvre aux mêmes vertus du grand photographe américain.

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    Les mises en regard entre nus et œuvres d'art photographiées, fleurs et sexes d'homme, religion et objectivité sont passionnantes.

    Le photographe sera également célébré au musée Rodin dans une exposition qui ouvrira dans quelques jours à peine. Nous sommes impatient de découvrir la confrontation entre ces deux maîtres absolus de la plasticité masculine. Il y avait eu, il y a quelques années maintenant, une exposition passionnante à Florence sur un dialogue comparable : Mapplethorpe et Michel-Ange.

     

     

  • L'Art nouveau à la Pinacothèque de Paris (et quelques réflexions sur la photographie dans les expositions)

    Un magnifique ensemble de chefs d’œuvre de l'Art nouveau est actuellement présenté à Paris à la Pinacothèque. Si la scénographie est un peu sombre et manque de charme, la visite reste un enchantement par la variété et la qualité des pièces : des lithographies en couleur, des bronzes, de la petite statuaire, du mobilier, des films, des bijoux, des affiches, etc.

    L’exposition fait délicieusement écho à celle en 2011 du musée d’Orsay : Beauté morale et volupté.

     

     

     Georges de Feure, L'esprit du mal, 1898, aquarelle, collection Victor Arwas, Londres

     

     Hector Lemaire, La Roche qui pleure, vers 1900, biscuit de Sèvres, collection Victor Arwas, Londres

     

     Edgar Maxence, La Fumeuse

     Lithographie en couleur, vers 1900, Collection privée

    On regrettera simplement une fois de plus l'interdiction de photographier dans l’exposition... Ce règlement, assez fréquent pour les expositions temporaires, moins pour les musées, est, nous semble-t-il, une pratique du droit largement abusive. Comme disait l’un de nos amis à propos des collectionneurs privés qui interdisent que les visiteurs photographient les œuvres qu’ils prêtent pour des expositions : « D’une part, l'œuvre est photographiée dans le catalogue, et rien n'empêche concrètement quelqu'un de la scanner, d’autre part ils n’ont pas de droit sur l’image de l'œuvre. Ils possèdent l’œuvre, mais pas l’image, surtout quand l’œuvre est tombée dans le domaine public, auquel cas elle appartient (l’image toujours) à tout le monde. Cette interdiction de photographier me fait penser aux Amérindiens qui ne voulaient pas que l'on vole leur âme ». La beauté du patrimoine appartient à tout le monde, les propriétaires n'en sont que les gardiens. (Je me place, bien sûr, dans le cas d'un usage non commercial).

    On nous dit aussi que photographier un tableau empêcherait les visiteurs de le regarder. À mon avis, c'est exactement le contraire. C'est parce qu'on a en plus la possibilité de photographier l’œuvre qu'on la regarde encore plus attentivement. En outre, il est difficilement supportable que quelqu'un vienne nous dire quelle est la « bonne » manière de regarder une œuvre, quelle est la « bonne » pratique de l'art.

    Enfin, dans le cas de la Pinacothèque de Paris, avec un prix d'entrée à 12 euros (tarif réduit : 10 euros - il y a longtemps que les tarifs réduits ne sont plus des demi-tarifs), on peut estimer avoir acheté le droit de prendre tranquillement des photos pour garder un souvenir de sa visite.

    Sur cette question de l'image en histoire de l'art, nous renvoyons à la très instructive émission de télévision produite et réalisée par La Tribune de l'art : Patrimoine en question(s) n°4 : l’histoire de l’art doit-elle se faire sans images ?

     

     

     

  • Riche actualité au château de Sceaux

    Outre les collections permanentes du musée de l’Île-de-France, le domaine de Sceaux présente actuellement deux expositions de très haute qualité.

    La première est située à l’entrée du parc, dans les Écuries. Intitulée 1704 - Le Salon, les Arts et le Roi, elle est d’un exceptionnel intérêt et doit être vue par tout dixseptièmiste. L’exposition réunit 70 œuvres des quelques 500 qui ornèrent la Grande Galerie du Louvre à l’occasion du Salon de 1704.

     

      Nicolas Langlois (1640-1703) Exposition des ouvrages de peinture et de sculpture dans la galerie du Louvre en 1699

     Détail d’un almanach pour l’année 1700 - Eau forte et burin, 88,8 x 55,8 cm

     Paris, Galerie Terrades - © Galerie Terrades, Paris

     « Sous l’Ancien Régime, le Salon était organisé par l’Académie royale de peinture et de sculpture et présentait les œuvres des plus grands artistes de l’époque. Il se situe en cela à l’origine du concept moderne d’exposition », rappellent les commissaires de l’exposition. Le rassemblement de ces œuvres est captivant et fort instructif. Le dossier de presse est ici. On regrettera cependant l’étroitesse des salles d'exposition et l’absence de catalogue, toujours en attente de parution.

     

     Louis de Boullogne (1654-1733) Vénus dans la forge de Vulcain - 1703

     Huile sur toile, 67,5 x 57,5 cm

     Sceaux, Collection Milgrom - © M. et Mme Milgrom

      Il est également dommage que le Pavillon de l’Aurore, avec sa coupole peinte par Le Brun, soit fermé durant la durée de l’exposition : il paraît que c’est en raison du manque de personnel. Nous avons compté quatre agents de surveillance pour des espaces minuscules et deux agents d’accueil à l’entrée. On peut s’interroger sur une telle répartition – qui respecte, assurément, les normes syndicales. Enfin on regrette la fermeture de l’Orangerie, pour travaux semble-t-il, qui présente normalement les collections de sculptures.

     

     La seconde exposition est située au « Petit Château », à l’autre bout des jardins. Mais l’effort pour s'y rendre est récompensé par la qualité des œuvres et de la présentation. Il s’agit d’une reprise en format réduit de l’exposition de la collection Adrien qui s’était tenue au Musée des Beaux-Arts de Rennes. La sélection est faite en cohérence avec l’exposition sur le Salon de 1704. Resserrant son propos, l’exceptionnel intérêt des feuilles n’en apparaît que plus clairement.

     

     François Lemoyne (1688-1737) Etude pour la figure d’Hercule assommant Cacus - 1716

     Pierre noire et rehauts de craie blanche, 41,2 x 24,7 cm

     © Musée des Beaux-Arts de Rennes/Jean-Manuel Salingue

      En outre, nous avons trouvé particulièrement pédagogique (et notre fille de six ans aussi) le panneau de salle expliquant l’élaboration progressive d’un tableau grâce aux étapes successives des dessins et des esquisses peintes.

     

     

     

  • L'enjeu classique : Laure Albin Guillot

    Le musée du Jeu de Paume propose actuellement une exposition très excitante qui nous fait plonger dans une certaine culture française des années vingt et trente grâce à l’œuvre photographique de Laure Albin Guillot. Cette période est souvent présentée par les historiens de l’art comme une époque de « repli », un « retour à l’ordre » après les vagues successives des avant-gardes qui caractériseraient le vrai mouvement de l’art. Plusieurs expositions récentes, L’antiquité rêvée, Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde, L’Ange du bizarre ont rappelé qu’il existait aussi une autre histoire de l’art, un autre chemin que celui de la modernité unidirectionnelle.


    Et ce qui frappe lorsque l’on considère la production artistique de ces années d’entre-deux-guerres, c’est cette formidable confiance dans les nouvelles formes d’une modernité qui se définit non plus par la rupture, mais par la réinterprétation d’un héritage esthétique. Ce retour à la forme classique, cet assagissement qui s’exprime alors en peinture, en architecture, en musique et en poésie doit aussi être compris comme un temps nécessaire d’assimilation de toutes les nouveautés artistiques qui ont bouleversé le visage de l’art au tournant du XXe siècle.

    L’exposition du Jeu de Paume, habilement sous-titrée « L’enjeu classique », permet d’effleurer ces questions qui se révèlent aussi cruciales pour notre époque. Elle s’appuie, dans une scénographie un peu sévère, sur la variété du travail de Laure Albin Guillot. L’exposition s’ouvre par une série de portraits dont celui, très émouvant, de Paul Valéry. La photographe était au cœur de la vie artistique française de son temps et son œuvre en offre un témoignage précieux.

    Laure Albin Guillot, Portrtait de Paul Valéry


    Elle a également beaucoup travaillé sur la question millénaire du nu en lui conférant un lyrisme limpide qui semble vouloir exprimer ce sentiment d’éternité classique que tant d'artistes à l'époque recherchaient.

    Laure Albin Guillot - Nu, 1938


          

    Laure Albin Guillot - Nu allongé, c. 1930                                            - 1947


    De façon très cohérente, elle proposa une illustration des grands poèmes symbolistes néo-antiques comme les Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs et la Cantate du Narcisse de Paul Valéry. Ces ouvrages où la photographie se fond dans la bibliophilie dévoilent plus que l’esprit d’un temps : ils proposent une véritable philosophie de la forme.

    Laure Albin Guillot - La Cantate du Narcisse, 1934


    Mais il semble bien que tout ceci échappe à certains, car l’une des plus intéressantes photographies de nu de Laure Albin Guillot a été ridiculement censurée par Facebook. La pruderie américaine fait la démonstration continuelle de sa sottise pour ne pas dire de son obscurantisme. Rien que pour le principe (... et le plaisir aussi en fait), nous la republions nous aussi :

    Laure Albin Guillot - Étude de nu, 1940


    L’exposition montre également le travail de Laure Albin Guillot dans le domaine de la photographie décorative à partir de microphotographie, ainsi que les campagnes publicitaires pour lesquelles elle proposa des clichés d’une grande beauté.

     

    Laure Albin Guillot - Micrographie décorative, 1931            - Etude publicitaire pour le lait, vers 1935

  • De l'Allemagne, entre identité et universalité

    Le Musée du Louvre présente, sous pyramide, une grande exposition consacrée à l'art allemand, du romantisme goethéen à l’entre-deux-guerres. Le parcours chronologique et thématique est captivant et les œuvres présentées sont sublimes (forcément).

     

    Arnold Böcklin, Villa au bord de la mer, 1878, huile sur toile, 110 x 160 cm.

    Winterthur, Kunstmuseum, don des héritiers d’Olga Reinhart-Schwarzenbach, 1970, 1102

    © Erich Lessing, Vienne

     La polémique qui a éclaté dans la presse allemande quelques jours après l’ouverture nous paraît vraiment inappropriée. Prétendre que l’exposition validerait l’idée d’un enchaînement naturel entre le romantisme allemand et le nazisme est passablement absurde. La brutalité des guerres du XXe siècle et l’ombre noire de la montée du nazisme ne sont aucunement présentées comme une conséquence du romantisme du XIXe siècle. Au contraire même, s’il fallait faire un seul reproche au parcours de l’exposition, ce serait la rupture un peu forte entre la deuxième et la troisième section, entre les grands paysages romantiques et universels de Friedrich et l’évocation des ravages humains de la Première Guerre mondiale.
    Décidément, l’identité allemande reste un sujet complexe et non apaisé.

  • Giotto, le Mexique et Angers

    L’actualité culturelle est toujours riche au musée du Louvre et nous voudrions signaler trois petites expositions à ne pas manquer en ce moment.

     

    Giotto, Crucifix, vers 1315 Musée du Louvre


    La première est une brillante exposition-dossier consacrée à Giotto et à son immédiat entourage. La présentation est éclairante, les textes de salles sont exemplaires, l’effort pédagogique parfaitement abouti.

     

    Saint Philippe de Jésus, cathédrale de Mexico

     

    Dans les salles espagnoles de l’aile Denon, on découvre autour d’une admirable sculpture représentant Saint Philippe de Jésus provenant de la cathédrale de Mexico, une série de peinture de la Nouvelle Espagne. Pour dire le vrai, nous ne savions pas à quoi nous attendre pour cette peinture qui n’a pas la meilleure réputation. Mais nous avons été « convertis » et les tableaux exposés sont remarquables. On retiendra en particulier l’étonnante et momumentale Lactation de saint Dominique de Cristóbal de Villalpando.

     

    Cristóbal de Villalpando (ca. 1649-1714), Lactation de saint Dominique

    Mexico, Iglesia de Santo Domingo

     

    Enfin, les grandes salles d’art graphique présentent une belle sélection des dessins des musées d’Angers, avec en particulier l’œuvre graphique du grand sculpteur romantique David d'Angers où se distingue ce captif enchaîné :

  • L'ange du bizarre

    Le musée d'Orsay présente depuis quelques jours une nouvelle exposition sur le "versant noir du romantisme" intitulée : L'ange du bizarre. Le romantisme noir de Goya à Max Ernst.

    Carlos Schwabe (1866-1926), La Mort et le fossoyeur, 1900 
    aquarelle, gouache et mine de plomb, H. 76 ; L. 56 cm 
    Paris, musée d'Orsay, conservé au département des Arts Graphiques du musée du Louvre
     Legs Michonis, 1902 © RMN (Musée d'Orsay) / Jean-Gilles Berizzi

    Cette exposition sur un sujet transversal mêlant les époques, les artistes et les techniques offre une vue d'ensemble passionnante sur une vraie problématique culturelle. Les expositions thématiques nous paraissent toujours plus excitantes intellectuellement que les expositions monographiques.

     

    Franz von Stuck (1863-1928) La Chasse sauvage, 1899, Huile sur toile, 95 x 67 cm

    Paris, musée d’Orsay, RF 1980 7

    © Musée d’Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt


    L'Ange du bizarre s'inscrit d'ailleurs un peu, par son tropisme anglo-saxon, dans la continuité de l'exposition autour d'Oscar Wilde dont nous avions dit ici beaucoup de bien. Elle prolonge aussi très intelligemment l'exposition sur le néoclassicisme au musée du Louvre d'il y a deux ans. Certains tableaux sont d'ailleurs communs aux deux manifestations comme Le Cauchemar de Johann Heinrich Füssli.

     

    On avoue avoir été moins convaincu par la dernière partie de l'exposition consacrée à la postérité surréaliste. Alors que la structure du parcours était jusque là thématique, ce saut chronologique paraît un peu forcé. Comme s'il fallait se justifier et prouver coûte que coûte que la problématique a des liens avec l'avant-garde.

  • Sensualité et spiritualité au musée Henner

    Le musée Jean-Jacques Henner est un des musées les plus agréables de Paris. Avec le musée Delacroix, le musée Gustave Moreau, la maison Victor Hugo et le musée de la vie romantique, il fait partie de ces endroits un peu secrets qu'on aime voir préservés de la foule même si naturellement on leur souhaite le plus grand nombre de visiteurs. On attend avec une vive impatience la réouverture du musée Hébert, inauguré en 1978 et "temporairement" fermé depuis 2004.

    Le musée Henner présente actuellement une exposition sur la peinture religieuse fin-de-siècle autour de Jean-Jacques Henner. La problématique est immense et fascinante ; elle est ici traitée dans les limites naturellement de ce petit musée. La question de la représentation du Christ mort est une des plus obsessionnelles de l'histoire de la peinture occidentale et l'on rêve d'une grande rétrospective sur ce thème.

    Sensualité et spiritualité expose ainsi les recherches du peintre alsacien autour de la question du corps implorant et souffrant dans la peinture religieuse. Dessins préparatoires, ébauches et œuvres achevées sont mis en regard. La première salle montre les tâtonnements du jeune artiste, encore très académique et à l'étroit dans la tradition davidienne. Mais déjà, on pressent des choses nouvelles dans son Adam et Ève trouvant le corps d'Abel, 1858, ENSBA. La présentation d'autres artistes permet d'élargir le sujet : la remise en contexte est une obligation pour tout discours sur l'art. Cependant la (charmante) petitesse du musée oblige en conséquence à décrocher beaucoup d'œuvres d'Henner lui-même.

    Autre regret, l'omission des panneaux de salle et d'indications qui baliseraient le parcours (titre de salle, numérotation des sections du parcours) ; à la place, un "petit journal" est distribué à l'entrée, mais on regrette l'absence de ces repères usuels.

    Enfin, on se plaindra de la difficulté dans bien des cas de pouvoir voir les œuvres tout simplement : en effet, l'accrochage en hauteur et surtout le problème (probablement insoluble) des reflets constituent un cruel obstacle à la contemplation.

     

    Terminons par une note positive en soulignant le remarquable dynamisme de ce musée, les concerts, lectures, ateliers de dessin, projections de films qui y sont organisés, ses liens avec les blogueurs culturels, son propre blog, son compte Flickr, son compte Facebook, sans parler de son très sympathique personnel d'accueil.

    On nous annonce en outre l'ouverture prochaine d'un jardin d'hiver. Définitivement, le musée Henner est un des lieux les plus délicieux et les plus précieux de la capitale.

  • Hopper au Grand Palais

    L'exposition Edward Hopper qui vient de s'ouvrir au Grand Palais est passionnante à plus d'un titre. Tout d'abord on saluera l'intelligence de la remise en contexte et de la mise en regard par la présence d'œuvres d'autres artistes. Nous avons plusieurs fois sur ce blog souligné l'importance de cette manière de faire de l'histoire de l'art. Ainsi l'exposition s'ouvre sur la formation de l'artiste et l'on voit le rôle joué par la peinture française du tournant du siècle autour de Marquet et de Vallotton mais aussi l'héritage de Degas dans la définition de l'espace et le naturalisme des sujets.

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    Edward Hopper, Stairway at 48 Rue de Lille, Paris, 1906 Huile sur bois, 33 x 23,5 cm New York, Whitney Museum of American Art (70.1295) Legs de Josephine N. Hopper

    On découvre aussi le travail d'artistes moins connus comme John Sloan ou comme le passionnant  Walter Sickert. L'importance de la place consacrée à tous ces artistes dans les premières salles de l'exposition donne à cette dernière une ampleur incontestable.

     

     

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    Edward Hopper Cunard Sailor, 1906-1907       Edward Hopper, Couple Drinking, 1906-1907

    Aquarelle et mine de plomb sur papier            Aquarelle, 34,3 x 50,5 cm

    37,8 x 26,8 cm                                             New York, Whitney Museum of American Art,

    New York, Whitney Museum of                       Josephine N. Hopper Bequest

    American Art (70.1335)                                 © Heirs of Josephine N. Hopper, licensed

    Legs de Josephine N. Hopper                          by the Whitney Museum of American Art

     

    Mais au-delà des questions de filiations stylistiques et d'héritages artistiques, c'est aussi tout un monde visuel qui se dévoile au visiteur : celui d'une modernité plongeant dans le quotidien des années 1905-1925, entre Paris et l'Amérique. On a le sentiment de partager l'univers de Francis Scott Fitzgerald dans The Great Gatsby, mais aussi des films comme Days of Heaven ou Henry and June, et quantité d'autres.

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    Edward Hopper, Soir Bleu, 1914, Huile sur toile, 91,4 x 182,9 cm, New York, Whitney Museum of American Art, Josephine N. Hopper Bequest © Heirs of Josephine N. Hopper, licensed by the Whitney Museum of American Art

    Les liens entre l'œuvre de Hopper et la photographie et le cinéma sont naturellement intenses, et l'exposition les met habilement en valeur par la projection des travaux de Atget ou d'artistes contemporains comme le photographe Philip-Lorca diCorcia.

    Si les tableaux et aquarelles produits par Hopper au cours de l'entre-deux guerres nous ont paru un peu moins convaincants car peut-être un peu anecdotiques, la dernière partie de l'exposition consacre le génie de l'artiste avec une série d'œuvres qui recrée devant nos yeux toute la mythologie de l'Amérique. L'accrochage incite à une passionnante réflexion sur l'isolement, l'abandon et parfois même la désolation.

     

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    Edward Hopper, Eleven A.M., 1926, Huile sur toile 71,3 x 91,6 cm, Washington, D.C., Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution (66.2504) Don de la fondation, Joseph H. Hirshhorn, 1966

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    Edward Hopper, Room in New-York Sheldon Museum of Art, University of Nebraska © Sheldon Museum of Art

     

    Jusqu'à la fin de sa vie Hopper reste fidèle à son esthétique tout en l'enrichissant, mais la chronologie avance et ce qui était formellement audacieux autour de 1905-1925, l'est beaucoup moins dans les 40 années qui suivent, surtout en regard des bouleversements de la peinture de son temps. Le décalage frappant entre son travail et celui de l'avant garde américaine (question qui n'est pas abordée dans l'exposition) est assez savoureux. Son œuvre pose la question de la figuration naturaliste dans l'art des années 50 comme expression artistique moderne et de haute valeur.

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    Edward Hopper, Morning Sun, Columbus Museum of Art, Ohio

    Howald Fund Purchase 1954.031 © Columbus Museum of Art, Ohio

      La dernière toile de l'exposition est à cet égard l'une des plus stupéfiantes :

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    Sun in a Empty Room, 1963, Collection privée

     Le dossier de presse se trouve ici.

  • Peintures des églises de Paris du XVIIe siècle au musée Carnavalet

    On concèdera que ce n'est probablement pas une exposition qui attirera un grand public. Qu'il s'agit d'un évènement essentiellement destiné aux historiens de l'art dixseptièmistes. Mais pour eux, dont je suis, quelle joie !

    Le musée Carnavalet abrite en effet une exposition exceptionnelle au titre enchanteur, Les Couleurs du ciel, consacrée à la peinture des églises de Paris du XVIIe siècle.

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    Philippe de Champaigne (1602-1674), Le sommeil d’Élie, Musée des Beaux Arts du Mans © Cliché Musées du Man

    Les trois premières salles sont chronologiques, les trois dernières thématiques. La présentation est d'une grande clarté et témoigne du sens pédagogique du commissaire scientifique de l'exposition, Guillaume Kazerouni, également enseignant en histoire de l'art. On aborde ainsi successivement les grands chantiers artistiques des églises de Paris du XVIIe siècle à travers les esquisses, les tableaux, les gravures et les réductions de ces décors peints, aujourd'hui pour la plupart démembrés ou disparus.

    Les premières salles montrent un bouillonnement de talents d'une jeune peinture avide de conquérir ces lieux de l'art que furent les églises de Paris. Même les œuvres parfois plus faibles d'artistes un peu secondaires séduisent par leurs maladresses charmantes et leurs audaces formelles. Mille questions sur les styles et les chantiers se bousculent dans notre esprit.

    L'un des grands mérites de cette exposition est de nous permettre de VOIR enfin des tableaux dont on connaissait plus ou moins l'existence mais auquel on n'avait pas accès, soit qu'ils étaient masqués par la crasse (beaucoup ont été restaurés pour l'occasion), soit qu'ils étaient (et le redeviendront) inaccessibles au regard parce que placés trop haut, trop loin ou dans des chapelles fermées... L'accrochage, idéalement dense et plutôt bas, facilitant ainsi la proximité avec la toile, permet de satisfaire notre appétit rétinien.

    En permettant à l'historien de l'art d'étudier et d'admirer un pan considérable de la création artistique tristement négligé par les effets de mode, les ravages du temps et la sottise crimimelle des destructeurs du patrimoine, cette exposition procure un fort sentiment de contentement.

    La première image visible à l'entrée est en revanche parfaitement déprimante :

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    Il s'agit d'un plan de Turgot (1736) indiquant les emplacements des églises de Paris. En rouge, les églises détruites, en vert les églises subsistantes...

     

     

     

  • Bohèmes au Grand Palais

    Les Galeries nationales du Grand Palais présentent cet automne une remarquable exposition sur les liens entre la figure du bohémien dans l'imaginaire visuel européen et le thème de la vie de bohème de la jeunesse littéraire et artistique du XIXe siècle. Outre l'intérêt en soit du propos, cette exposition se distingue par une scénographie inventive, suggestive et éloquente, pleinement au service des œuvres et des enjeux intellectuels soulevés par le sujet. Or cette scénographie a été éreintée par la critique qui n'a pas hésité à dénoncer la "dérive des expositions spectacles". Cela n'est pas pour nous surprendre. En France, les historiens de l'art ont toujours eu du mal avec le concept de médiation, avec l'idée que l'on puisse prolonger l'œuvre d'art par une mise en scène qui soit à la fois ludique et pédagogique. Un tableau cela s'accroche sur un mur, et le mur doit être nu. A la rigueur un texte de salle mais ce sera tout. Heureusement, cette position élitiste et anti-hédoniste perd de plus en plus de terrain. (Le capitalisme consumériste a parfois des effets heureux). Reprocher à une exposition de tendre vers le spectacle est pratiquement paradoxal. Car en un sens, une exposition se doit d'être un spectacle, c'est-à-dire d'offrir au visiteur une mise en mouvement du discours sur l'art et l'histoire, de créer entre les œuvres un rapport dynamique, d'expliquer un propos par une pédagogie de l'effet. De surcroît, comme le dit très justement le commissaire de l'exposition Sylvain Amic, une présentation traditionnelle, sobre et classique aurait été en contradiction frontale avec le sujet.

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    Georges de la Tour (1593-1652), La diseuse de bonne aventure, vers 1630. Huile sur toile, 102 x 123 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art. © The Metropolitan Museum of Art, / Dist.RMN/ image of the MMA

     

    L'exposition Bohèmes explore deux aspects bien distincts (d'où le pluriel du titre). La première partie se concentre sur le parcours iconographique et culturel du thème du bohémien dans l'art européen selon une progression chrono-thématique qui va de Léonard de Vinci à Van Gogh en passant par le chef d'œuvre de Georges de La Tour.  On regrette cependant la cruelle absence de Caravage, vraie lacune de la démonstration.

    Les textes de salles offrent des explications captivantes et très instructives révélant progressivement toute la richesse du sujet (cf. les liens avec la Fuite en Egypte). On assiste ainsi à la passionnante généalogie du motif depuis son hypothétique origine égyptienne jusqu'aux danseuses de flamenco.

    Dès l'entrée, la scénographie fait, quoique encore modestement, la démonstration de son originalité et de la manière dont elle sert le propos. La première partie de l'exposition est constituée en effet d'un long chemin terreux et monotone. Des traces de pas sont visibles sur le sol. Le bohémien est avant tout quelqu'un qui marche, sans cesse chassé, repoussé... 

    La deuxième partie cherche à montrer comment à partir de la figure devenue légendaire du bohémien, s'est élaboré le mythe de l'artiste maudit, vivant pauvrement mais accédant par son art à des vérités plus grandes que celles ayant cours sous le joug de la société bourgeoise. Certes, on est là entièrement dans le fantasme romantique, mais cette filiation aussi fictive soit-elle entre le bohémien et l'artiste bohème dit tout de même quelque chose de fondamental du besoin de fragilité de l'homme créateur depuis le XIXe siècle, de sa recherche d'accomplissement dans l'instabilité, dans le voyage et l'errance, dans le rejet de la normalité bourgeoise. "La vraie vie est ailleurs".

     

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    La seconde partie de l'exposition est ainsi rythmée par des thèmes consacrés à la vie de misère des artistes du XIXe siècle : les logements dans les combles, les ateliers, les journaux illustrés, la vie amicale, la vie amoureuse... et tout se finit au bistrot. Mais cette conclusion plaisante est immédiatement contrariée par l'évocation, dans un étroit et oppressant couloir menant à la sortie de l'exposition, de la terrible destinée des Gitans pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Si l'actualité de ces dernières semaines projette un éclairage singulier et troublant sur le thème de cette exposition, cette dernière ne cherche jamais à masquer la distance qu'il y a entre le rêve esthétique et la réalité humaine, ni ne prétend confondre l'art et l'ethnologie sociologique. Les textes du catalogue et l'interview du commissaire en particulier s'attardent intelligemment sur ces questions.

     

  • Canaletto et Guardi au musée Jacquemart-André

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    Canaletto (Antonio Canal, dit), Le Grand Canal et l'entrée au Cannaregio, huile sur toile, 46 X 78,4 cm, supplied by Royal Collection Trust - © HM Queen Elizabeth II 2012

     

    Le musée Jacquemart-André présente en ses murs depuis la semaine dernière une exposition très réussie sur la vedutta vénitienne au XVIIIe siècle autour des figures de Canaletto et de Francesco Guardi. Très réussie en dépit de son sujet serait-on presque tenté de dire. En effet, cette peinture, par définition assez répétitive, pouvait faire craindre quelque chose de très ennuyeux. On a l'impression de déjà bien la connaître, on en voit dans tous les musées du monde, et d'ailleurs on ne la regarde même plus.

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    Francesco Guardi, Le Canale di Cannaregio, avec le Palazzo Surian-Bellotto, l'ambassade de France, 49,5 x 77,5 cm, huile sur toile, The Frick Collection, New York - © The Frick Collection


    Or la clarté du propos, l'admirable sélection des tableaux, l'intelligence de la démonstration, font de cette présentation une belle réussite. Servie par l'élégante scénographie d'Hubert Le Gall, l'exposition ne lasse jamais, et les espaces un peu difficiles du musée Jacquemart-André n'ont jamais paru aussi bien proportionnés.

    L'effort de médiation a été particulièrement poussé. Le visiteur reçoit gracieusement à son arrivée un petit livret très complet et très bien conçu. Le site internet de l'exposition (à ne pas confondre avec la section du site internet du musée consacrée à l'exposition) est particulièrement riche en contenu. Il permet de surcroît de télécharger des applications pédagogiques pour smartphones. Bienvenue au 21e siècle.

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    Canaletto, La Régate sur le Grand Canal, vers 1732, Huile sur toile, 149,8 x 218,4 cm  © The Bowes Museum, Barnard Castle, County Durham, England

  • Misia au musée d'Orsay

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    Vite, vite, il faut se hâter, cette exposition se termine dans quelques jours et peut-être qu'elle vous aura échappé dans ces mois de villégiature.

    Misia, reine de Paris est au musée d'Orsay jusqu'au 9 septembre 2012. L'aventure (les aventures) de cette femme au sein des avant-gardes artistiques du début du XXe siècle est étonnante et l'on croise avec gourmandise les figures de Ravel, Stravinsky, Mallarmé, Cocteau...

    L'exposition présente des tableaux magnifiques de Vuillard, Vallotton (dont la nouvelle acquisition du musée d'Orsay et qui sert pour l'affiche de l'exposition) et Bonnard, des partitions autographes de Ravel, les costumes du fantaisiste ballet Parade ainsi qu'un éventail de Mallarmé orné d'un délicieux quatrain :

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    Aile du papier reploie
    Bats toute si t’initia
    Naguère à l’orage et la joie
    De son piano
                              Missia

     

    Si le choix des œuvres est remarquable et les pièces documentaires souvent passionnantes (lettres, photographies), on fut en revanche un peu surpris par une scénographie qui semble s'être arrêtée au milieu du chemin : la dernière partie consacrée aux liens entre Misia et Coco Chanel est étonnamment sèche.

  • Giovanni Battista Cima da Conegliano (1459-1517)

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    Avouons-le humblement, c'est une redécouverte. Certes, il y avait le beau tableau du musée du Louvre, quelques toiles repérées de musées en musées, mais la sélection proposée par le musée du Luxembourg est proprement éblouissante, et l'on découvre avec cette exposition une peinture portée à un rare niveau d'incandescence. Nous sommes les témoins comblés de ce que la Renaissance de la fin du Quattrocento a pu produire de plus délectable en termes de grâce, de mesure et d'harmonie.

    L'histoire de la peinture vénitienne passe habituellement de Giovanni Bellini à Giorgione puis à Titien. On sait bien sûr que le mouvement est plus complexe, mais autour de cette question des précurseurs du grand éveil de la Renaissance vénitienne du XVIe siècle, Cima était souvent omis, tenu à la marge. Le voici célébré ; ce n'est que justice. Tardive mais éclatante.

    Élève probable de Bellini, il en subit incontestablement l'influence heureuse. Il incarne avec lui ce moment d'équilibre de la Renaissance, ce tournant déterminant autour de 1500 qui fit passer l'art de cette légère raideur archaïque si savoureuse des maîtres du Quattrocento à la manière souple et moderne des compositions de la Haute Renaissance.

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    Sainte face, Londres, National Gallery

     

    Cima da Conegliano réalise la synthèse, sans marque d'éclectisme, des avancées de la peinture de son temps dans le domaine de l'invention, de la composition, du dessin, et dans cette recherche de grâce et de douceur propre aux premières années du XVIe siècle de Florence à Venise. On y retrouve naturellement la science de la couleur et de la lumière de Bellini, mais aussi la noblesse et la mesure d'un Piero della Francesca, le goût pour les architectures peintes du même Piero ou de Mantegna. Cima aime également, à l'instar des Florentins du Quattrocento, faire la démonstrations de sa maîtrise de la perspective. Le catalogue de l'exposition insiste également sur les liens avec la sculpture et l'on songe en effet à la douceur monumentale des oeuvres des frères Lombardo, très proche de l'art de Cima. Mais tout ceci sans qu'il n'y paraisse, sans effort, en une synthèse nouvelle et harmonieuse. Ars celare artem.

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    Vierge à l’enfant entre saint Michel et saint André, vers 1496-1498 Parme, Galleria Nazionale


     


  • Une collection privée de dessins exposée au musée des beaux-arts de Rennes

     

    Christian et Isabelle Adrien sont des collectionneurs bien connus dans le monde de l'art ancien, en particulier dans le domaine du dessin. Le musée des beaux-arts de Rennes leur prête ses murs afin de montrer au public les plus belles feuilles de leur collection et d'en publier le catalogue scientifique. Comme l'explique Francis Ribemont, directeur honoraire du musée, dans l'avant-propos du catalogue, le principe d'une exposition présentant une collection privée dans un musée public n'est pas un geste anodin et aurait peut-être naguère soulevé quelques difficultés. Heureusement, les relations entre les musées, les collectionneurs et le marché de l'art ont beaucoup évolué ces dernières années. Ce qui reste toutefois encore un peu nouveau, c'est le caractère explicite de l'affichage de cette situation. L'exposition s'intitule en effet : Une collection particulière : les dessins de la collection Christian et Isabelle Adrien. Cette franche simplicité est plutôt rare car le plus souvent on opte pour un titre plus "poétique". Ce sera ainsi le cas pour une exposition prochaine au musée Jenisch à Vevey (Suisse) : La tentation du dessin.

    Mais le plus important reste naturellement l'intérêt des oeuvres présentées, ce qui est bien le cas ici avec un très bel ensemble de feuilles allant de la Renaissance au néo-classicisme, toutes écoles confondues. Le projet scientifique a été conduit sous la direction de Pierre Rosenberg. Nous avons participé à ce catalogue pour la rédaction d'une notice consacrée à un dessin original de Joseph Parrocel représentant le Triomphe de David.

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    L'œuvre date probablement de la dernière décennie de la vie de l'artiste, autour de 1700. De dimensions relativement importantes, elle illustre le goût de celui-ci pour les techniques mixtes et les «écritures confuses», mêlant librement les lignes, les taches, les traces de pinceau et les traits de plume. Le style de Parrocel est assez original au sein de la production de son temps. « Parrocel est nouveau dans tout ce qu’il a produit. On ne peut l’accuser d’avoir suivi aucun goût ; le ressouvenir de tout ce qu’il avoit vû, ne nourrissoit plus son génie ; il tiroit tout de son propre fond. » écrit Dezallier d’Argenville, son biographe au XVIIIe siècle.

    Ce Triomphe de David constitue en outre une sorte de résumé du parcours esthétique de son auteur : les deux côtés de la composition confrontent les deux pôles de son art. Il y a, d’un côté, sur la gauche, l’image de la vie militaire, ce rêve de guerriers, ces casques et ces armures, évocation qui se concentre dans le cavalier de dos en contre-jour, sur son cheval cabré, qui donne des ordres à ses troupes, silhouette admirable de nervosité et qui résume toute une inspiration de l’artiste. Et de l’autre côté, en pleine lumière, un groupe de jeunes filles charmantes, levant les bras, dansant et jouant de la musique, et dont les silhouettes sont animées par des accents de gouache blanche. Tout l’œuvre de Joseph Parrocel est comme tendu entre ces deux inspirations, l’une militaire et masculine, l’autre champêtre et féminine. Ce qui les unit, c’est la picturalité du traitement, la liberté des formes.

    Ajoutons un dernier mot sur le catalogue pour louer le travail de l'éditeur et cette très belle maquette, moderne et élégante.


  • Rétrospective Helmut Newton au Grand Palais

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    Il est facile d'avoir des préjugés sur Helmut Newton (1920-2004). Certaines de ses photographies sont si célèbres qu'elles ont figé quelque peu l'image d'un illustrateur à l'esthétique lisse et à l'érotisme bon chic bon genre. La remarquable rétrospective qui lui est consacrée au Grand Palais redonne à son œuvre sa juste mesure en mettant particulièrement en valeur le perpétuel renouvellement de son inspiration. Si son travail sur le corps contraint, sur le corps athélique est bien connu, il explore aussi d'autres sujets, réalisant des photos de camping, des polaroïds. On découvre également une belle série de portraits de célébrités : Karl Lagerfeld (jeune), Leni Riefenstahl (âgée), Salvador Dali (très âgé), Charlotte Rampling (éternellement jeune). L'accrochage souligne efficacement la liberté du regard d'Helmut Newton.

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    Notons que cette exposition se tient dans un espace du Grand Palais que nous ne connaissions pas, juste à côté de la grande nef. On y accède par une petite porte à gauche de l'entrée principale.


  • José María Sert au Petit-Palais

     

    Si le nom de José Maia Sert (1874-1945) reste encore peu connu du grand public, son art n'est pas ignoré des amateurs parisiens grâce à un décor aujourd'hui conservé au musée Carnavalet. L'exposition du Petit-Palais met en lumière l’œuvre de cet artiste décorateur très actif dans la première moitié du XXe siècle.

    Ce qui retient l'attention, ce n'est pas vraiment l'esthétique de l'artiste (sorte de Tiepolo goyesque égaré au XXe siècle), mais bien davantage la présentation de la méthode de travail d'un peintre de grand décor fidèle à une pratique qui plonge ses racines dans la grande tradition de l'art européen en ouvre depuis la Renaissance. On est ainsi captivé par la mise en rapport des projets, des maquettes, des dessins, des photos de modèles posant, d'animaux, de paysage, photos souvent ensuite mises au carreau pour préparer l'insertion de figures aux poses complexes dans de vastes compositions peuplées de silhouettes traversant l'espace.

    Autre point intéressant : les dernières sections présentent les décors de Sert pour de grandes institutions publiques en Europe et en Amérique. Il est alors permis d'y voir le reflet passionnant de la confiance dans les années trente des grandes nations occidentales en l'ordre mondial, sorte de confiance dans l'Histoire, le Progrès et la Civilisation. L'art de Sert est le meilleur exemple de cette illusoire foi en l'Histoire. A croire que l'inimaginable de la Seconde Guerre mondiale était proprement inimaginable.

     

  • Les nus de Degas au musée d'Orsay

     

    Une exposition sur les nus de Degas pourrait apparaître comme une manifestation assez convenue, une machine à succès. Les pastels de femmes au tub par exemple sont des images mille fois reproduites, des chefs d'oeuvre très populaires. Et puis on a encore en tête la remarquable exposition sur "le dernier Degas" à la National Gallery de Londres il y a quelques années. Qu'apporte alors de nouveau l'exposition du musée d'Orsay ?

    Elle commence doucement, sans brusquer le spectateur, avec une première section consacrée au "corps classique". Les dessins sont superbes : ce sont des académies sans fadeur, des études pour sa peinture. On songe à Pignon-Ernest. Tableaux et dessins sont mis en relation de façon très classique mais irréprochable.

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    La deuxième section présente "le corps en péril". Les choses commencent peu à peu à devenir sérieuses. Les premiers signes de l'originalité du tempérament artistique de Degas se font jour. On voit ses préoccupations, on suit ses recherches formelles, ses obsessions, entre autres à travers les copies dessinées d'après les maîtres (Delacroix, Ingres) dont les toiles (ou des réductions ou des variantes) sont également accrochées ce qui est très appréciable.

    La troisième section, centrée sur le "corps exploité" des prostituées, rompt avec la forme académique et signe la véritable inflexion de la trajectoire esthétique de l'artiste. Degas dessine des scènes ordinaires dans des maisons closes, des femmes qui se préparent, des clients qui s'avancent. Il y a peu de dessins érotiques, si ce n'est une représentation d'une scène d'amour saphique. Et le cartel de s'interroger : "Pratique commune ou fantasme masculin ?" Pourquoi pas les deux ! Mais ce qu'il y a de plus intéressant dans cette section est la technique utilisée à ce moment par Degas : le monotype (c'est-à-dire de l'impression sur papier d'un dessin préalablement réalisé sur une plaque de métal). Cette production est une vraie redécouverte. Le traitement stylistique, libéré du rapport à la peinture, est d'une superbe audace.

    A partir de ce moment, nous sommes vers la fin des années 1870, l'oeuvre de Degas gagne en maturité, en autorité. Le corps est étudié, décrit, rendu comme une forme qui ne tire son expressivité que d'elle-même. La mise en regard du travail de Degas avec celui d'autres artistes (Caillebotte, Manet, Renoir, Toulouse-Lautrec...) illumine le propos. L'exposition propose alors un accrochage totalement spectaculaire et la crainte de voir ce que l'on a vu cent fois s'est évaporée depuis longtemps.

     

     

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    Les dernières sections font encore croître, si cela était possible, notre émotion. La série de compositions dessinées au fusain, à l'huile ou au pastel crée un véritable choc. Tel un carpet bombing, la succession de ces nus fait presque courir le danger de rendre commun le chef d’œuvre. Il faut s'accrocher, rester concentré, car la formidable puissance de feu de Degas donne parfois le tournis !

     

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    L'exposition se conclut de manière savoureuse avec la postérité immédiate de l'art de Degas et les créations non moins géniales de Picasso qui se situent dans cette filiation.

    La démonstration est faite : il fallait cette exposition.

  • La Sainte Anne de Léonard

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    A l'occasion de la restauration du tableau de Léonard de Vinci, La Vierge à l'enfant avec sainte Anne, le musée du Louvre organise une exposition mettant en perspective l'élaboration et la postérité de cette œuvre clé de la Renaissance italienne. Pour son exposition Léonard, après la manifestation londonienne de cet hiver, le Louvre n'a pas voulu rester en reste. Et ce qui aurait pu n'être qu'une exposition-dossier autour de la restauration elle-même et des dessins préparatoires a pris la forme d'une grande rétrospective monographique aussi ambitieuse qu'aboutie.

    L'exposition est organisée autour de deux mouvements. Le premier conduit vers l’œuvre : il détaille toutes les étapes préparatoires de l'élaboration progressive de la composition, les projets, les dessins et les versions successives. On découvre aussi avec un grand intérêt les copies réalisées par l'entourage du maître à partir des versions antérieures du projet. L'enquête est minutieuse et nous permet de comprendre le fonctionnement de l'atelier d'un grand peintre à la Renaissance. On mesure également l'extraordinaire curiosité que suscitait le travail de Léonard. Cependant la présence si nombreuses de copies peut déconcerter les visiteurs et nous avons entendu une dame qui, tombant enfin sur le tableau de Léonard, dit à son amie "Non, ça, c'est encore une copie, le tableau doit être à la fin". Une trop grande attente esthétique est souvent déceptive !

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    Le second mouvement de l'exposition part de l'œuvre, et, selon un mouvement inverse, suit la postérité du tableau. On mesure ainsi son importance au sein de la Renaissance, son influence sur Michel-Ange, sur Raphaël et sur les artistes du nord de l'Europe (Fascinante composition de Michel Coxie, La Sainte parenté, Kremsmünster, Stiftsgalerie !) et jusqu'à son écho au XIXe siècle et au XXe siècle, à travers les œuvres d'Odilon Redon et de Max Ernst.

    C'est définitivement une exposition très stimulante, très intelligente, exigeante aussi, trouvant dans un sujet d'étude précis et circonscrit la matière d'une réflexion en histoire de l'art qui tient autant de la rigueur que de la délectation. On songe à l'exposition d'une ambition comparable et d'une réussite égale qui s'était tenue dans les mêmes murs : Rembrandt et la figure du Christ.