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Blog de Jérôme Delaplanche - Page 3

  • L'enjeu classique : Laure Albin Guillot

    Le musée du Jeu de Paume propose actuellement une exposition très excitante qui nous fait plonger dans une certaine culture française des années vingt et trente grâce à l’œuvre photographique de Laure Albin Guillot. Cette période est souvent présentée par les historiens de l’art comme une époque de « repli », un « retour à l’ordre » après les vagues successives des avant-gardes qui caractériseraient le vrai mouvement de l’art. Plusieurs expositions récentes, L’antiquité rêvée, Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde, L’Ange du bizarre ont rappelé qu’il existait aussi une autre histoire de l’art, un autre chemin que celui de la modernité unidirectionnelle.


    Et ce qui frappe lorsque l’on considère la production artistique de ces années d’entre-deux-guerres, c’est cette formidable confiance dans les nouvelles formes d’une modernité qui se définit non plus par la rupture, mais par la réinterprétation d’un héritage esthétique. Ce retour à la forme classique, cet assagissement qui s’exprime alors en peinture, en architecture, en musique et en poésie doit aussi être compris comme un temps nécessaire d’assimilation de toutes les nouveautés artistiques qui ont bouleversé le visage de l’art au tournant du XXe siècle.

    L’exposition du Jeu de Paume, habilement sous-titrée « L’enjeu classique », permet d’effleurer ces questions qui se révèlent aussi cruciales pour notre époque. Elle s’appuie, dans une scénographie un peu sévère, sur la variété du travail de Laure Albin Guillot. L’exposition s’ouvre par une série de portraits dont celui, très émouvant, de Paul Valéry. La photographe était au cœur de la vie artistique française de son temps et son œuvre en offre un témoignage précieux.

    Laure Albin Guillot, Portrtait de Paul Valéry


    Elle a également beaucoup travaillé sur la question millénaire du nu en lui conférant un lyrisme limpide qui semble vouloir exprimer ce sentiment d’éternité classique que tant d'artistes à l'époque recherchaient.

    Laure Albin Guillot - Nu, 1938


          

    Laure Albin Guillot - Nu allongé, c. 1930                                            - 1947


    De façon très cohérente, elle proposa une illustration des grands poèmes symbolistes néo-antiques comme les Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs et la Cantate du Narcisse de Paul Valéry. Ces ouvrages où la photographie se fond dans la bibliophilie dévoilent plus que l’esprit d’un temps : ils proposent une véritable philosophie de la forme.

    Laure Albin Guillot - La Cantate du Narcisse, 1934


    Mais il semble bien que tout ceci échappe à certains, car l’une des plus intéressantes photographies de nu de Laure Albin Guillot a été ridiculement censurée par Facebook. La pruderie américaine fait la démonstration continuelle de sa sottise pour ne pas dire de son obscurantisme. Rien que pour le principe (... et le plaisir aussi en fait), nous la republions nous aussi :

    Laure Albin Guillot - Étude de nu, 1940


    L’exposition montre également le travail de Laure Albin Guillot dans le domaine de la photographie décorative à partir de microphotographie, ainsi que les campagnes publicitaires pour lesquelles elle proposa des clichés d’une grande beauté.

     

    Laure Albin Guillot - Micrographie décorative, 1931            - Etude publicitaire pour le lait, vers 1935

  • De l'Allemagne, entre identité et universalité

    Le Musée du Louvre présente, sous pyramide, une grande exposition consacrée à l'art allemand, du romantisme goethéen à l’entre-deux-guerres. Le parcours chronologique et thématique est captivant et les œuvres présentées sont sublimes (forcément).

     

    Arnold Böcklin, Villa au bord de la mer, 1878, huile sur toile, 110 x 160 cm.

    Winterthur, Kunstmuseum, don des héritiers d’Olga Reinhart-Schwarzenbach, 1970, 1102

    © Erich Lessing, Vienne

     La polémique qui a éclaté dans la presse allemande quelques jours après l’ouverture nous paraît vraiment inappropriée. Prétendre que l’exposition validerait l’idée d’un enchaînement naturel entre le romantisme allemand et le nazisme est passablement absurde. La brutalité des guerres du XXe siècle et l’ombre noire de la montée du nazisme ne sont aucunement présentées comme une conséquence du romantisme du XIXe siècle. Au contraire même, s’il fallait faire un seul reproche au parcours de l’exposition, ce serait la rupture un peu forte entre la deuxième et la troisième section, entre les grands paysages romantiques et universels de Friedrich et l’évocation des ravages humains de la Première Guerre mondiale.
    Décidément, l’identité allemande reste un sujet complexe et non apaisé.

  • Giotto, le Mexique et Angers

    L’actualité culturelle est toujours riche au musée du Louvre et nous voudrions signaler trois petites expositions à ne pas manquer en ce moment.

     

    Giotto, Crucifix, vers 1315 Musée du Louvre


    La première est une brillante exposition-dossier consacrée à Giotto et à son immédiat entourage. La présentation est éclairante, les textes de salles sont exemplaires, l’effort pédagogique parfaitement abouti.

     

    Saint Philippe de Jésus, cathédrale de Mexico

     

    Dans les salles espagnoles de l’aile Denon, on découvre autour d’une admirable sculpture représentant Saint Philippe de Jésus provenant de la cathédrale de Mexico, une série de peinture de la Nouvelle Espagne. Pour dire le vrai, nous ne savions pas à quoi nous attendre pour cette peinture qui n’a pas la meilleure réputation. Mais nous avons été « convertis » et les tableaux exposés sont remarquables. On retiendra en particulier l’étonnante et momumentale Lactation de saint Dominique de Cristóbal de Villalpando.

     

    Cristóbal de Villalpando (ca. 1649-1714), Lactation de saint Dominique

    Mexico, Iglesia de Santo Domingo

     

    Enfin, les grandes salles d’art graphique présentent une belle sélection des dessins des musées d’Angers, avec en particulier l’œuvre graphique du grand sculpteur romantique David d'Angers où se distingue ce captif enchaîné :

  • Merveilles du Cabinet des Médailles

     

    Le Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France, de son vrai nom Musée des Monnaies, médailles et antiques (ou encore Musée des Médailles et Antiques, on trouve les deux sur le site internet de la BnF), est un lieu un peu secret à Paris mais qui abrite des oeuvres merveilleuses. Certes, il est défavorisé par une présentation vieillissante et un peu austère, mais sa visite reste un enchantement. Un vaste projet de restructuration doit normalement être mis en oeuvre prochainement pour offrir enfin à ces collections de première importance le cadre muséographique qu'elles méritent.

     

     

     

     

     

     

    Le Cabinet des Médailles propose pour encore quelques semaines une intéressante exposition temporaire sur l'art de la médaille au XIXe siècle et au XXe siècle.

     

    Il est ainsi passionnant de voir le "conflit" en quelque sorte entre une technique et une forme on ne peut plus classiques et des sujets très modernes comme La compagnie de chemin de fer Paris-Lyon-Méditérranée, 1901, par Louis-Oscar Roty (auteur de la célèbre Semeuse qui a longtemps orné le franc) :

  • Peintures du XVIIe et du XVIIIe siècles pour le décor du château d'Eu

    La Société de l'Histoire de l'Art français est une société savante fondée en 1872 avec pour mission la promotion de l'étude de l'art français en particulier par la publication d'archives et de documents administratifs inédits comme les procès-verbaux de l'Académie royale ou les Comptes des Bâtiments du roi.

    La Société édite également un Bulletin qui fait paraître annuellement les travaux des chercheurs consacrés à l'art français du Moyen Âge à nos jours.

    Dans le numéro de 2011 (qui vient de sortir), rassemblant les travaux présentés à l'assemblée de la Société en 2010, se trouve un article écrit par mes soins et consacré au décor de l'appartement de l'aile de Bresle au château d'Eu sous Louis-Philippe.

    Le château d'Eu fut édifié en 1578 par  Henri de Lorraine, duc de Guise, dit « le Balafré ». Lorsque Louis-Philippe hérite du château et du domaine d'Eu à la mort de sa mère en 1821, il confie à l’architecte Pierre Fontaine la charge des travaux de restauration. Le château devient alors une résidence royale pour la famille d’Orléans qui y réside régulièrement. Fontaine construit également en 1827-1828 un bâtiment un peu en retrait, en contrebas le long de la Bresle.

     

    Ce bâtiment, qu'on appela aussi l’aile des Ministres ou « aile des vingt-deux chambres », abritait une salle du Conseil ainsi que des logements pour les ministres, ambassadeurs, médecins et généraux lorsque le roi et la famille royale résidaient à Eu. Jean Vatout, le principal historien ancien du château, précise ainsi la fonction et le décor de cette aile : « Les appartements du château étant devenus insuffisants pour loger toutes les personnes à qui le roi accorde l’honneur de l’accompagner dans ses voyages à Eu, S. M. a fait construire sur la Bresle, annexés au pavillon des bains, des appartements nouveaux décorés avec élégance. Les tableaux qu’on y a placés ne font pas suite à la collection de portraits qui est le caractère distinctif de la décoration du château d’Eu ; ce sont presque tous des sujets mythologiques. Ces nouveaux appartements ont nécessité, pour tous les services domestiques, de grands travaux qui font honneur au talent de M. Fontaine » L’aménagement de cette aile date de 1838.

     

    Résidence. Recueil de plans. Eu. 1831-1848

     (Archives des musées nationaux cote : 39 DD 2). Salle D.

     

    On trouve aux Archives des musées nationaux un recueil de planches donnant une description précise des élévations de chacun des murs des huit chambres de cet appartement, permettant ainsi de connaître le détail de la répartition des tableaux. Ces derniers avaient été prélevés dans les collections royales et provenaient d’anciens décors, fragments dispersés ornant à l’origine les pavillons de Marly, de la Ménagerie, du Grand Trianon, du rez-de-chaussée de Versailles ainsi que d’anciens cartons de tapisseries. Chaque composition fut ensuite transposée sur une nouvelle toile puis entourée par un faux cadre doré.

    Noël-Nicolas Coypel, Vénus, Bacchus et l’Amour, Paris, musée du Louvre.

    Aujourd’hui H.  2,68 sur L. 1,79, mais à l’origine H. 2,35 sur L. 1,38

    Anonyme, Fleurs dans un vase de bronze enrichi de bas-relief

    Fontainebleau, musée national du château


    À la chute du régime de la Monarchie de Juillet, la plupart des tableaux sont envoyés au musée du Louvre ou en dépôt au château de Fontainebleau. Les œuvres considérées comme appartenant à Louis-Philippe lui sont rendues. Elles sont vendues à Londres en 1857. Sur les 144 tableaux qui ornaient jadis l’appartement de l’aile de Bresle, nous en avons retrouvé 118 dont notre article dresse l'inventaire détaillé. Un grand nombre de ces toiles ne sont plus aujourd’hui exposées et ne trouvent nul usage. On pourrait imaginer la reconstitution d'une ou deux salles de ce décor aujourd'hui démantelé.

  • Colloque d'Histoire de l'art à l'ICP

    Nous organisons à l'ICP les 5 et 6 avril 2013 un colloque international d'histoire de l'art intitulé : L’œuvre d’art entre ambition identitaire et aspiration à l’universel.

     

    L’œuvre d’art porte en elle une tension : elle est tout à la fois le symbole d’une identité particulière et elle mène chacun vers un message d’ordre universel. Ce colloque aura pour ambition d'explorer cette double dimension de la création artistique à travers des communications couvrant un large champ géographique et chronologique.

    Le programme se trouve ici (cliquez pour agrandir) :

    ICP-Programme.jpg

    Et le détail des participants ici :

    ICP-Participants.jpg

    L'accès est libre dans la limite des places disponibles.

  • L'ange du bizarre

    Le musée d'Orsay présente depuis quelques jours une nouvelle exposition sur le "versant noir du romantisme" intitulée : L'ange du bizarre. Le romantisme noir de Goya à Max Ernst.

    Carlos Schwabe (1866-1926), La Mort et le fossoyeur, 1900 
    aquarelle, gouache et mine de plomb, H. 76 ; L. 56 cm 
    Paris, musée d'Orsay, conservé au département des Arts Graphiques du musée du Louvre
     Legs Michonis, 1902 © RMN (Musée d'Orsay) / Jean-Gilles Berizzi

    Cette exposition sur un sujet transversal mêlant les époques, les artistes et les techniques offre une vue d'ensemble passionnante sur une vraie problématique culturelle. Les expositions thématiques nous paraissent toujours plus excitantes intellectuellement que les expositions monographiques.

     

    Franz von Stuck (1863-1928) La Chasse sauvage, 1899, Huile sur toile, 95 x 67 cm

    Paris, musée d’Orsay, RF 1980 7

    © Musée d’Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt


    L'Ange du bizarre s'inscrit d'ailleurs un peu, par son tropisme anglo-saxon, dans la continuité de l'exposition autour d'Oscar Wilde dont nous avions dit ici beaucoup de bien. Elle prolonge aussi très intelligemment l'exposition sur le néoclassicisme au musée du Louvre d'il y a deux ans. Certains tableaux sont d'ailleurs communs aux deux manifestations comme Le Cauchemar de Johann Heinrich Füssli.

     

    On avoue avoir été moins convaincu par la dernière partie de l'exposition consacrée à la postérité surréaliste. Alors que la structure du parcours était jusque là thématique, ce saut chronologique paraît un peu forcé. Comme s'il fallait se justifier et prouver coûte que coûte que la problématique a des liens avec l'avant-garde.

  • Outil de recherche en histoire de l'art

    La bibliothèque d'histoire de l'art de l'INHA vient de mettre en ligne la numérisation de catalogues de vente pour les années 1676-1763.

    C'est un outil qui facilitera considérablement le travail des chercheurs en histoire de l'art pour l'étude des provenances mais aussi pour l'histoire du goût.

    Ainsi, nous venons de trouver une indication intéressante dont nous n'avions pas connaissance au moment de la publication de notre thèse sur Joseph Parrocel (Arthena, 2006).

    Elle se découvre dans le catalogue d'une vente de dessins et d'estampes qui se tint à Paris le 22 février 1759. Au n°45, une série de vingt-six estampes de Joseph Parrocel appartenant à sa série sur la Vie de Notre Seigneur Jésus-Christ est proposée à la vente avec le commentaire suivant : "dans le goût de Rembrandt".

    Cette expression assez fréquente sous la plume des auteurs du XVIIIe siècle est une manière très intéressante de qualifier une pratique de la gravure  attentive au clair-obscur mais aussi très libre dans son dessin, sans contour ni dureté. Les rapprochements entre l'art du grand maître hollandais et la pratique de Parrocel permettent ainsi de mieux saisir l'esthétique de ce dernier.

  • Sensualité et spiritualité au musée Henner

    Le musée Jean-Jacques Henner est un des musées les plus agréables de Paris. Avec le musée Delacroix, le musée Gustave Moreau, la maison Victor Hugo et le musée de la vie romantique, il fait partie de ces endroits un peu secrets qu'on aime voir préservés de la foule même si naturellement on leur souhaite le plus grand nombre de visiteurs. On attend avec une vive impatience la réouverture du musée Hébert, inauguré en 1978 et "temporairement" fermé depuis 2004.

    Le musée Henner présente actuellement une exposition sur la peinture religieuse fin-de-siècle autour de Jean-Jacques Henner. La problématique est immense et fascinante ; elle est ici traitée dans les limites naturellement de ce petit musée. La question de la représentation du Christ mort est une des plus obsessionnelles de l'histoire de la peinture occidentale et l'on rêve d'une grande rétrospective sur ce thème.

    Sensualité et spiritualité expose ainsi les recherches du peintre alsacien autour de la question du corps implorant et souffrant dans la peinture religieuse. Dessins préparatoires, ébauches et œuvres achevées sont mis en regard. La première salle montre les tâtonnements du jeune artiste, encore très académique et à l'étroit dans la tradition davidienne. Mais déjà, on pressent des choses nouvelles dans son Adam et Ève trouvant le corps d'Abel, 1858, ENSBA. La présentation d'autres artistes permet d'élargir le sujet : la remise en contexte est une obligation pour tout discours sur l'art. Cependant la (charmante) petitesse du musée oblige en conséquence à décrocher beaucoup d'œuvres d'Henner lui-même.

    Autre regret, l'omission des panneaux de salle et d'indications qui baliseraient le parcours (titre de salle, numérotation des sections du parcours) ; à la place, un "petit journal" est distribué à l'entrée, mais on regrette l'absence de ces repères usuels.

    Enfin, on se plaindra de la difficulté dans bien des cas de pouvoir voir les œuvres tout simplement : en effet, l'accrochage en hauteur et surtout le problème (probablement insoluble) des reflets constituent un cruel obstacle à la contemplation.

     

    Terminons par une note positive en soulignant le remarquable dynamisme de ce musée, les concerts, lectures, ateliers de dessin, projections de films qui y sont organisés, ses liens avec les blogueurs culturels, son propre blog, son compte Flickr, son compte Facebook, sans parler de son très sympathique personnel d'accueil.

    On nous annonce en outre l'ouverture prochaine d'un jardin d'hiver. Définitivement, le musée Henner est un des lieux les plus délicieux et les plus précieux de la capitale.

  • Une nouvelle revue

    Une nouvelle revue vient de faire son apparition dans les kiosques : L'Éléphant.

    Cette revue est entièrement consacrée à la culture générale : la définir, l'acquérir, s'en réjouir...

     

    Outre, naturellement, les différents dossiers culturels qu'elle propose, cette revue a l'originalité d'insister sur la question de la mémorisation. "Savoir c'est se souvenir" proclame-t-elle en couverture en citant Aristote.

     

    J'ai apporté ma modeste contribution à ce premier numéro avec un bref témoignage répondant à la question "A quoi sert la culture générale ?" qui était posée à 25 personnalités.

     

    Capture-d-ecran-2013-01-02-a-15.50.29.png

  • Un dessin inédit de Joseph Parrocel

    Après la feuille inédite découverte en mars de l'an dernier, un nouveau dessin de Joseph Parrocel (1646-1704) est réapparue sur le marché de l'art.

    Ce Passage du Rhin est passé en vente à l'Hôtel Drouot, salle 10, le 21 décembre 2012, étude Gros & Delettrez, lot n°12. Il s'agit d'un dessin à la plume et encre brune, lavis brun et gris et avec des rehauts de gouache blanche. H. 35 cm ; L. 38 cm. Il présente quelques usures mais hormis cela il est en très bonne condition. Les empâtements de gouache blanche en particulier sont magnifiques. Ce dessin est très caractéristique par sa liberté d'écriture et la richesse de sa technique du travail graphique de Joseph Parrocel.

    Mais l'oeuvre est également très importante car il s'agit de l'étude préparatoire pour le tableau de même sujet commandé par la Surintendance des Bâtiments du Roi en 1699 pour le décor du château de Marly. Ce tableau est aujourd'hui conservé au musée du Louvre (cf. ma monographie publiée chez Arthena, Paris, 2006, P93, repr.).

    Parrocel-Louvre.jpg

    Le dessin présente une composition plus développée en largeur que sur la toile du Louvre mais rappelons que cette dernière a été découpée et raccourcie à gauche et à droite au XIXe siècle. On peut donc maintenant, grâce au dessin, se faire une idée de ce que devait être la composition d'origine du tableau, en particulier de sa disposition horizontale et non pas verticale.

    L'oeuvre graphique de Joseph Parrocel étant numériquement assez modeste, en particulier pour les dessins profanes, cette feuille est un élément précieux pour la connaissance du style tardif de l'artiste. Elle a été acquise par la Galerie Jean-François Baroni.

    [Mise à jour 11 décembre 2013 : le dessin est entré dans les collections du musée du Louvre en septembre 2013 grâce à la Société des Amis du Louvre]

     

  • Louis XIV sur le champ de bataille

    Versalia, la revue de la Société des Amis de Versailles, publie ce mois-ci son 16e numéro annuel :

     

    J'ai écrit pour ce numéro un article (p.71-90) intitulé :

     

    "Louis XIV sur le champ de bataille :

    l'invention d’un héroïsme royal entre textes et images"

     

    dont voici le résumé :

     

       Avec la naissance de l’État moderne, le roi de France ne peut plus se battre. Pris dans le conflit entre l’idéal chevaleresque et les nouvelles exigences de l’absolutisme, Louis XIV chercha cependant sans relâche à éprouver la guerre dans sa chair, à en vivre les fatigues et en braver les dangers. Il était à la recherche d’un héroïsme qui lui était interdit.

       Après avoir rappelé les enjeux de la représentation du roi à la guerre entre langage allégorique et langage naturaliste, nous chercherons à mieux cerner l’attitude de Louis XIV sur le champ de bataille, l’emplacement où il se tenait, ce qu’il y faisait.

       Outre une iconographie louis-quatorzienne plutôt bien étudiée (récemment entre autres par Peter Burke, Thomas Kirchner, Gérard Sabatier et Marianne Cojannot-Le Blanc), nous nous sommes appuyés pour notre étude sur des textes d’auteurs pas ou peu sollicités par les historiens et les historiens de l’art mais qui se révèlent cruciaux pour notre problématique : le marquis de Dangeau, Jean Donneau de Vizé, Henri Philippe de Limiers et le marquis de Quincy.

  • Joseph Parrocel aux Invalides

    En 1974, à l’occasion du tricentenaire de la fondation de l’Hôtel des Invalides, le musée de l’Armée publiait un ouvrage de référence, intitulé Les Invalides. Trois siècles d’histoire, véritable somme des connaissances sur l’Hôtel, son édification, ses évolutions, mais aussi ses pensionnaires, ses institutions patrimoniales, etc. des origines à nos jours.

    Les importants développements de la recherche historique de ces dernières années ont incité le musée de l'armée à faire le point sur la connaissance de cette institution avec l'organisation d'un colloque: 

    Trois cent quarante ans d’histoire des Invalides

    Ce colloque se tiendra les 4 et 5 décembre 2012 à l'auditorium Austerlitz du musée de l’Armée de 9h15 à 18h. Réservation obligatoire, dans la limite des places disponibles, à histoire-ma[at]invalides.org.

    À cette occasion, je prononcerai une communication intitulée:

    Réflexions à partir des peintures de Parrocel aux Invalides :

    une orientation muséale entre histoire de l’art et histoire

    L'objectif sera de partir des peintures murales de Joseph Parrocel aux Invalides, de passer par l'actualité de la recherche sur Parrocel (en présentant des oeuvres inédites) et sur les images de la guerre (en signalant les derniers colloques et publications), puis de montrer que ces études croisent de plus en plus histoire de l'art et histoire, et enfin de revenir au Musée de l'Armée avec des propositions de pistes de réflexions autour de la politique éducative des grands établissements culturels à destination des publics des Collèges et des Lycées, avec dans le cas des Invalides un possiblement renforcement du regard artistique des visiteurs sur les objets témoins de la guerre.

    Pour mémoire, une image avant/après de la spectaculaire restauration de 2005 des peintures murales du réfectoire François Ier à l'Hôtel des Invalides :

    Parrocel-Prise-de-Bouillon.jpg

    Joseph Parrocel, Le siège de Bouillon

     état antérieur (disparu)                                            état actuel

  • Prisonniers de guerre à Nancy

     

    L'université Nancy 2 et le Centre de Recherche Universitaire Lorrain d'Histoire organisent sous la direction de Laurent Jalabert, Maître de conférences, un colloque international sur le thème :

     LES PRISONNIERS DE GUERRE (XVe - XIXe siècles) :

     entre marginalisation et reconnaissance


     Le colloque se tiendra du 5 au 7 novembre 2012. A cette occasion, je prononcerai une communication intitulée :

     

    L'ICONOGRAPHIE DU CAPTIF DE L'ANTIQUITÉ À L'ÉPOQUE CLASSIQUE

     OU

     LA LENTE ÉMERGENCE D’UN SCRUPULE

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     Pierre de Franqueville, Captifs provenant du décor du piédestal de la statue équestre d 'Henri IV sur le Pont Neuf, 1614-1618, Paris, musée du Louvre. Fondus et ciselés par Francesco Bordoni. Monument détruit en 1792 sauf les Quatre Captifs

     

  • Hopper au Grand Palais

    L'exposition Edward Hopper qui vient de s'ouvrir au Grand Palais est passionnante à plus d'un titre. Tout d'abord on saluera l'intelligence de la remise en contexte et de la mise en regard par la présence d'œuvres d'autres artistes. Nous avons plusieurs fois sur ce blog souligné l'importance de cette manière de faire de l'histoire de l'art. Ainsi l'exposition s'ouvre sur la formation de l'artiste et l'on voit le rôle joué par la peinture française du tournant du siècle autour de Marquet et de Vallotton mais aussi l'héritage de Degas dans la définition de l'espace et le naturalisme des sujets.

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    Edward Hopper, Stairway at 48 Rue de Lille, Paris, 1906 Huile sur bois, 33 x 23,5 cm New York, Whitney Museum of American Art (70.1295) Legs de Josephine N. Hopper

    On découvre aussi le travail d'artistes moins connus comme John Sloan ou comme le passionnant  Walter Sickert. L'importance de la place consacrée à tous ces artistes dans les premières salles de l'exposition donne à cette dernière une ampleur incontestable.

     

     

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    Edward Hopper Cunard Sailor, 1906-1907       Edward Hopper, Couple Drinking, 1906-1907

    Aquarelle et mine de plomb sur papier            Aquarelle, 34,3 x 50,5 cm

    37,8 x 26,8 cm                                             New York, Whitney Museum of American Art,

    New York, Whitney Museum of                       Josephine N. Hopper Bequest

    American Art (70.1335)                                 © Heirs of Josephine N. Hopper, licensed

    Legs de Josephine N. Hopper                          by the Whitney Museum of American Art

     

    Mais au-delà des questions de filiations stylistiques et d'héritages artistiques, c'est aussi tout un monde visuel qui se dévoile au visiteur : celui d'une modernité plongeant dans le quotidien des années 1905-1925, entre Paris et l'Amérique. On a le sentiment de partager l'univers de Francis Scott Fitzgerald dans The Great Gatsby, mais aussi des films comme Days of Heaven ou Henry and June, et quantité d'autres.

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    Edward Hopper, Soir Bleu, 1914, Huile sur toile, 91,4 x 182,9 cm, New York, Whitney Museum of American Art, Josephine N. Hopper Bequest © Heirs of Josephine N. Hopper, licensed by the Whitney Museum of American Art

    Les liens entre l'œuvre de Hopper et la photographie et le cinéma sont naturellement intenses, et l'exposition les met habilement en valeur par la projection des travaux de Atget ou d'artistes contemporains comme le photographe Philip-Lorca diCorcia.

    Si les tableaux et aquarelles produits par Hopper au cours de l'entre-deux guerres nous ont paru un peu moins convaincants car peut-être un peu anecdotiques, la dernière partie de l'exposition consacre le génie de l'artiste avec une série d'œuvres qui recrée devant nos yeux toute la mythologie de l'Amérique. L'accrochage incite à une passionnante réflexion sur l'isolement, l'abandon et parfois même la désolation.

     

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    Edward Hopper, Eleven A.M., 1926, Huile sur toile 71,3 x 91,6 cm, Washington, D.C., Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution (66.2504) Don de la fondation, Joseph H. Hirshhorn, 1966

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    Edward Hopper, Room in New-York Sheldon Museum of Art, University of Nebraska © Sheldon Museum of Art

     

    Jusqu'à la fin de sa vie Hopper reste fidèle à son esthétique tout en l'enrichissant, mais la chronologie avance et ce qui était formellement audacieux autour de 1905-1925, l'est beaucoup moins dans les 40 années qui suivent, surtout en regard des bouleversements de la peinture de son temps. Le décalage frappant entre son travail et celui de l'avant garde américaine (question qui n'est pas abordée dans l'exposition) est assez savoureux. Son œuvre pose la question de la figuration naturaliste dans l'art des années 50 comme expression artistique moderne et de haute valeur.

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    Edward Hopper, Morning Sun, Columbus Museum of Art, Ohio

    Howald Fund Purchase 1954.031 © Columbus Museum of Art, Ohio

      La dernière toile de l'exposition est à cet égard l'une des plus stupéfiantes :

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    Sun in a Empty Room, 1963, Collection privée

     Le dossier de presse se trouve ici.

  • Peintures des églises de Paris du XVIIe siècle au musée Carnavalet

    On concèdera que ce n'est probablement pas une exposition qui attirera un grand public. Qu'il s'agit d'un évènement essentiellement destiné aux historiens de l'art dixseptièmistes. Mais pour eux, dont je suis, quelle joie !

    Le musée Carnavalet abrite en effet une exposition exceptionnelle au titre enchanteur, Les Couleurs du ciel, consacrée à la peinture des églises de Paris du XVIIe siècle.

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    Philippe de Champaigne (1602-1674), Le sommeil d’Élie, Musée des Beaux Arts du Mans © Cliché Musées du Man

    Les trois premières salles sont chronologiques, les trois dernières thématiques. La présentation est d'une grande clarté et témoigne du sens pédagogique du commissaire scientifique de l'exposition, Guillaume Kazerouni, également enseignant en histoire de l'art. On aborde ainsi successivement les grands chantiers artistiques des églises de Paris du XVIIe siècle à travers les esquisses, les tableaux, les gravures et les réductions de ces décors peints, aujourd'hui pour la plupart démembrés ou disparus.

    Les premières salles montrent un bouillonnement de talents d'une jeune peinture avide de conquérir ces lieux de l'art que furent les églises de Paris. Même les œuvres parfois plus faibles d'artistes un peu secondaires séduisent par leurs maladresses charmantes et leurs audaces formelles. Mille questions sur les styles et les chantiers se bousculent dans notre esprit.

    L'un des grands mérites de cette exposition est de nous permettre de VOIR enfin des tableaux dont on connaissait plus ou moins l'existence mais auquel on n'avait pas accès, soit qu'ils étaient masqués par la crasse (beaucoup ont été restaurés pour l'occasion), soit qu'ils étaient (et le redeviendront) inaccessibles au regard parce que placés trop haut, trop loin ou dans des chapelles fermées... L'accrochage, idéalement dense et plutôt bas, facilitant ainsi la proximité avec la toile, permet de satisfaire notre appétit rétinien.

    En permettant à l'historien de l'art d'étudier et d'admirer un pan considérable de la création artistique tristement négligé par les effets de mode, les ravages du temps et la sottise crimimelle des destructeurs du patrimoine, cette exposition procure un fort sentiment de contentement.

    La première image visible à l'entrée est en revanche parfaitement déprimante :

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    Il s'agit d'un plan de Turgot (1736) indiquant les emplacements des églises de Paris. En rouge, les églises détruites, en vert les églises subsistantes...

     

     

     

  • Bohèmes au Grand Palais

    Les Galeries nationales du Grand Palais présentent cet automne une remarquable exposition sur les liens entre la figure du bohémien dans l'imaginaire visuel européen et le thème de la vie de bohème de la jeunesse littéraire et artistique du XIXe siècle. Outre l'intérêt en soit du propos, cette exposition se distingue par une scénographie inventive, suggestive et éloquente, pleinement au service des œuvres et des enjeux intellectuels soulevés par le sujet. Or cette scénographie a été éreintée par la critique qui n'a pas hésité à dénoncer la "dérive des expositions spectacles". Cela n'est pas pour nous surprendre. En France, les historiens de l'art ont toujours eu du mal avec le concept de médiation, avec l'idée que l'on puisse prolonger l'œuvre d'art par une mise en scène qui soit à la fois ludique et pédagogique. Un tableau cela s'accroche sur un mur, et le mur doit être nu. A la rigueur un texte de salle mais ce sera tout. Heureusement, cette position élitiste et anti-hédoniste perd de plus en plus de terrain. (Le capitalisme consumériste a parfois des effets heureux). Reprocher à une exposition de tendre vers le spectacle est pratiquement paradoxal. Car en un sens, une exposition se doit d'être un spectacle, c'est-à-dire d'offrir au visiteur une mise en mouvement du discours sur l'art et l'histoire, de créer entre les œuvres un rapport dynamique, d'expliquer un propos par une pédagogie de l'effet. De surcroît, comme le dit très justement le commissaire de l'exposition Sylvain Amic, une présentation traditionnelle, sobre et classique aurait été en contradiction frontale avec le sujet.

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    Georges de la Tour (1593-1652), La diseuse de bonne aventure, vers 1630. Huile sur toile, 102 x 123 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art. © The Metropolitan Museum of Art, / Dist.RMN/ image of the MMA

     

    L'exposition Bohèmes explore deux aspects bien distincts (d'où le pluriel du titre). La première partie se concentre sur le parcours iconographique et culturel du thème du bohémien dans l'art européen selon une progression chrono-thématique qui va de Léonard de Vinci à Van Gogh en passant par le chef d'œuvre de Georges de La Tour.  On regrette cependant la cruelle absence de Caravage, vraie lacune de la démonstration.

    Les textes de salles offrent des explications captivantes et très instructives révélant progressivement toute la richesse du sujet (cf. les liens avec la Fuite en Egypte). On assiste ainsi à la passionnante généalogie du motif depuis son hypothétique origine égyptienne jusqu'aux danseuses de flamenco.

    Dès l'entrée, la scénographie fait, quoique encore modestement, la démonstration de son originalité et de la manière dont elle sert le propos. La première partie de l'exposition est constituée en effet d'un long chemin terreux et monotone. Des traces de pas sont visibles sur le sol. Le bohémien est avant tout quelqu'un qui marche, sans cesse chassé, repoussé... 

    La deuxième partie cherche à montrer comment à partir de la figure devenue légendaire du bohémien, s'est élaboré le mythe de l'artiste maudit, vivant pauvrement mais accédant par son art à des vérités plus grandes que celles ayant cours sous le joug de la société bourgeoise. Certes, on est là entièrement dans le fantasme romantique, mais cette filiation aussi fictive soit-elle entre le bohémien et l'artiste bohème dit tout de même quelque chose de fondamental du besoin de fragilité de l'homme créateur depuis le XIXe siècle, de sa recherche d'accomplissement dans l'instabilité, dans le voyage et l'errance, dans le rejet de la normalité bourgeoise. "La vraie vie est ailleurs".

     

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    La seconde partie de l'exposition est ainsi rythmée par des thèmes consacrés à la vie de misère des artistes du XIXe siècle : les logements dans les combles, les ateliers, les journaux illustrés, la vie amicale, la vie amoureuse... et tout se finit au bistrot. Mais cette conclusion plaisante est immédiatement contrariée par l'évocation, dans un étroit et oppressant couloir menant à la sortie de l'exposition, de la terrible destinée des Gitans pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Si l'actualité de ces dernières semaines projette un éclairage singulier et troublant sur le thème de cette exposition, cette dernière ne cherche jamais à masquer la distance qu'il y a entre le rêve esthétique et la réalité humaine, ni ne prétend confondre l'art et l'ethnologie sociologique. Les textes du catalogue et l'interview du commissaire en particulier s'attardent intelligemment sur ces questions.

     

  • L'Islam au musée du Louvre

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    La presse a largement traité cette semaine de l'ouverture des nouvelles salles du musée du Louvre consacrées (principalement mais pas uniquement) aux arts de l'Islam. Il faut dire que la question de l'Islam est régulièrement depuis les événements du 11-Septembre dans l'oeil du cyclone de l'actualité la plus saillante. L'ouverture de ce nouveau département au musée du Louvre fait d'ailleurs écho à la rénovation des salles d'art islamique du Victoria & Albert Museum (2006), du Metropolitan Museum de New York (2011), sans parler de la construction et de l'ouverture du monumental musée d'art islamique de Doha en 2007 (Qatar). Au moment où le monde musulman s'échauffe une nouvelle fois, entre la destruction des mausolées de Tombouctou cet été et les violences de ces derniers jours, on ne pouvait trouver meilleur contraste, plus beau contre-message. L'héritage de l'art est la face lumineuse de toutes les cultures. L'inauguration ce mois-ci des salles du Louvre tombe ainsi à point nommé. L'enjeu était rien moins qu'anodin, le résultat devait être à la hauteur des enjeux. Et l'on se doit de dire que ces nouvelles salles consacrées aux arts de l'Islam sont enthousiasmantes et constituent désormais pour le Louvre un élément d'intérêt tout à fait remarquable.

    Ces nouveaux espaces se déploient au centre de la Cour Visconti (aile Denon), au niveau du rez-de-cour et sur un niveau inférieur. Le principe architectural qui prévaut à la construction extérieure dans la cour est audacieux et saisissant. Avec cette nappe souple qui ondule, ces piliers penchés qui la soutiennent, on pense immédiatement à une tente dressée. C'est une tente de bédouins plantée au milieu de la cour d'un palais. Il fallait oser. C'est parfaitement réussi mais assez culotté, avouons-le !

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    L'accès à cet espace se fait des différents côtés au travers de portes qui sont comme des tunnels un peu sombres, en béton noir et lisse. Ces passages forment des articulations assez fortes, presque dures mais qui permettent une découverte spectaculaire des nouveaux espaces dans la cour. L'espace de l'Islam est à la fois clairement distinct des autres salles du musée mais également totalement ouvert sur les autres cultures de la Méditerranée : la Grèce antique, l'Egypte copte. 

    Une fois entré "sous la tente", on est frappé par la grande transparence des verres et la totale visibilité de l'espace environnant. L'emprise au sol de la cour est extrêmement subtile et on a l'impression d'être en extérieur, simplement sous le voile de la nappe. On accède au niveau inférieur et principal par un escalier du même béton noir et lisse, et l'on découvre en surplomb l'immense salle souterraine. C'est une impressionnante collection au déploiement vertigineux, presque difficile à saisir dans son parcours. Mais est-ce le but ? La visite de cette salle est aussi le plaisir d'une déambulation savante au milieu de milliers d'objets admirables.

    Dans ce foisonnement, une chose nous a semblé particulièrement intéressante, c'est la remise en contexte des arts de l'Islam dans une géographie et dans une histoire, c'est-à-dire au sein de l'Orient méditerranéen, et non comme un art solitaire, sans porosité, isolé dans sa pureté fantasmée. Ainsi, juste aux abords, on découvre une mosaïque antique représentant une amazonomachie et des témoignages de l'art chrétien avec un (superbe) pavement d'église et des mosaïques.

     

    Soulignons aussi le bel effort de médiation, en direction des visiteurs curieux : cartes animées, vidéos, bornes interactives.

    Mais l'ouverture de ces nouvelles salles au musée du Louvre va au-delà des seules frontières de l'art de l'Islam puisque l'on découvre aussi un ensemble plus large de salles parcourant tout l'orient méditerranéen jusqu'à l'Egypte copte. Ces nouvelles salles sont lumineuses et la présentation des œuvres est irréprochable. On retrouve en outre avec plaisir l'accès à l'église de Baouit. 

     Tout n'est pas réussi cependant dans ces nouveaux espaces et il y a des parties étrangement faibles. Ainsi la mezzanine, sombre et bas de plafond, est un peu ratée. L'articulation des deux sections dévolues à l'Orient méditerranéen avec la contrainte d'un passage souterrain est également peu heureuse. Beaucoup de visiteurs sont perdus.

     

    La cour Lefuel adjacente a été restaurée et, le jour du vernissage, on pouvait s'y promener. Il était très plaisant de gravir l'escalier à pente douce destiné aux chevaux de Napoléon III.

     

    Ces nouvelles salles sont donc l'occasion de nous réjouir de l'embellissement du Louvre. Nous serions heureux si la peinture occidentale pouvait recevoir une telle attention...

     

  • Canaletto et Guardi au musée Jacquemart-André

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    Canaletto (Antonio Canal, dit), Le Grand Canal et l'entrée au Cannaregio, huile sur toile, 46 X 78,4 cm, supplied by Royal Collection Trust - © HM Queen Elizabeth II 2012

     

    Le musée Jacquemart-André présente en ses murs depuis la semaine dernière une exposition très réussie sur la vedutta vénitienne au XVIIIe siècle autour des figures de Canaletto et de Francesco Guardi. Très réussie en dépit de son sujet serait-on presque tenté de dire. En effet, cette peinture, par définition assez répétitive, pouvait faire craindre quelque chose de très ennuyeux. On a l'impression de déjà bien la connaître, on en voit dans tous les musées du monde, et d'ailleurs on ne la regarde même plus.

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    Francesco Guardi, Le Canale di Cannaregio, avec le Palazzo Surian-Bellotto, l'ambassade de France, 49,5 x 77,5 cm, huile sur toile, The Frick Collection, New York - © The Frick Collection


    Or la clarté du propos, l'admirable sélection des tableaux, l'intelligence de la démonstration, font de cette présentation une belle réussite. Servie par l'élégante scénographie d'Hubert Le Gall, l'exposition ne lasse jamais, et les espaces un peu difficiles du musée Jacquemart-André n'ont jamais paru aussi bien proportionnés.

    L'effort de médiation a été particulièrement poussé. Le visiteur reçoit gracieusement à son arrivée un petit livret très complet et très bien conçu. Le site internet de l'exposition (à ne pas confondre avec la section du site internet du musée consacrée à l'exposition) est particulièrement riche en contenu. Il permet de surcroît de télécharger des applications pédagogiques pour smartphones. Bienvenue au 21e siècle.

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    Canaletto, La Régate sur le Grand Canal, vers 1732, Huile sur toile, 149,8 x 218,4 cm  © The Bowes Museum, Barnard Castle, County Durham, England

  • Misia au musée d'Orsay

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    Vite, vite, il faut se hâter, cette exposition se termine dans quelques jours et peut-être qu'elle vous aura échappé dans ces mois de villégiature.

    Misia, reine de Paris est au musée d'Orsay jusqu'au 9 septembre 2012. L'aventure (les aventures) de cette femme au sein des avant-gardes artistiques du début du XXe siècle est étonnante et l'on croise avec gourmandise les figures de Ravel, Stravinsky, Mallarmé, Cocteau...

    L'exposition présente des tableaux magnifiques de Vuillard, Vallotton (dont la nouvelle acquisition du musée d'Orsay et qui sert pour l'affiche de l'exposition) et Bonnard, des partitions autographes de Ravel, les costumes du fantaisiste ballet Parade ainsi qu'un éventail de Mallarmé orné d'un délicieux quatrain :

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    Aile du papier reploie
    Bats toute si t’initia
    Naguère à l’orage et la joie
    De son piano
                              Missia

     

    Si le choix des œuvres est remarquable et les pièces documentaires souvent passionnantes (lettres, photographies), on fut en revanche un peu surpris par une scénographie qui semble s'être arrêtée au milieu du chemin : la dernière partie consacrée aux liens entre Misia et Coco Chanel est étonnamment sèche.

  • La Méduse Murtola de Caravage

     

    Caravage est devenu avec les années un de ces noms singuliers de l'histoire de l'art qui, à peine cité, déclenchent immédiatement l'excitation médiatique. Comme pour Léonard de Vinci, toute réapparition d'une nouvelle œuvre est un événement quasi-planétaire. Les enjeux financiers devenant de fait considérables lorsque ces œuvres appartiennent à des collectionneurs privés, les enquêtes autour de la question de l'attribution prennent des proportions inédites. Ce fut ainsi le cas pour le beau portrait féminin de profil dit La belle princesse attribué récemment à Léonard de Vinci. Des analyses scientifiques précises ont naturellement été entreprises mais l'enquête a également pris la forme d'un livre, d'un documentaire télévisuel, de sites Internet, le tout sous le regard des médias. Parfois, souvent, cette excitation est plus nuisible qu'autre chose. On le voit actuellement avec les vaines tentatives de retrouver sous les fresques de Vasari au Palazzo Vecchio, la fameuse Bataille d'Anghiari de Léonard, au risque de malmener les peintures de Vasari.

    Le culte de l'artiste, de ces quelques artistes particuliers, de ces élus, atteint parfois des niveaux insensés avec par exemple les efforts entrepris pour retrouver les ossements de Caravage. Le nom de l'artiste acquiert presque une dimension sacrée. Dès lors, les questions d'attribution débordent du cercle des spécialistes et des connaisseurs ; on se souvient de la vaine agitation médiatique en 2006 autour de deux médiocres copies d'après Caravage conservées à Loches mais qui avaient été présentées comme des originaux par le maire de la ville.

    Au milieu de tant de passions et d'enthousiasmes contradictoires, il est une œuvre tout à fait singulière que nous voudrions présenter. Il s'agit d'une Méduse (50 sur 48 cm) attribuée à Caravage et qui semble bien être la première version du célèbre tableau du musée des Offices à Florence.

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    Caravage, Méduse Murtola, Milan, collection particulière

    La première fois que nous avons entendu parler de cette peinture et que nous en avions vu une (mauvaise) photographie, notre sentiment quant à l'attribution était plutôt mitigé. La comparaison avec la version de Florence nous semblait en défaveur de celle-là et nous ne comprenions pas que Caravage ait pu peindre une seconde version identique dans ses moindres détails.

    Mais face à l’œuvre, l'effet est tout autre. L'impression un peu désagréable de la forme du visage tel qu'on le voit sur la photographie trouve son explication dans la courbure de la surface qui naturellement tord les proportions. En revanche, en présence de l’œuvre, cette déformation s'évanouit instantanément. La qualité de l'exécution s'impose de surcroît comme une évidence. Et l'on reconnaît bien alors le style puissant de Caravage.

    Mais ce qui fait définitivement pencher la balance en faveur de l'attribution c'est que la réflectographie à infra-rouge dévoile le dessin préparatoire et les ébauches sous la couche picturale visible. On découvre ainsi les recherches et les tâtonnements de l'artiste pour trouver l'emplacement définitif des éléments du visage. Les difficultés rencontrées à cause des déformations de la perspective dues à la convexité de la surface ont entraîné des changements importants dans le placement des yeux et dans la forme de la bouche.

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    Réflectographie


    La présence de ces modifications du dessin préparatoire sous-jacent plaide assez naturellement pour l'hypothèse suivante : cette Méduse-ci est la première version. Le tableau du musée des Offices est donc une seconde version, de la main de Caravage également, réalisée cette fois sans tâtonnement grâce aux acquis de la première version et sur un bouclier de dimensions sensiblement plus grandes.

    En outre, l’œuvre comporte une "signature" (si c'en est bien une) : "Michel A f.” (pour Michel A[ngelo] f[ecit]) tracé avec le sang de la Méduse. Presque trop beau pour être vrai...

    Le surnom Méduse Murtola provient d'un madrigal composé par Gaspare Murtola en l'honneur du "bouclier de la Méduse, peinture de Caravage" qu'il aurait ainsi vu à Rome lors de son séjour dans la ville entre 1600 et 1602 (la version des Offices se trouvait à Florence depuis 1598).

    On pourrait s'attarder longuement sur tous ces aspects techniques, historiques et artistiques passionnants. Une étude détaillée et approfondie sur cette "Première Méduse" a été publiée récemment en 2011.

     

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  • Les représentations d'enlèvement à travers les arts

     

    Les Libres cahiers pour la psychanalyse viennent de faire paraître leur nouveau numéro, dédié aux Vies amoureuses. J'ai publié dans ce volume un article intitulé :

    "Images d'une pulsion. Les représentations d'enlèvement à travers les arts"

    Comme il s'agit d'une revue qui n'a pas pour usage de publier des illustrations, cet article est malheureusement sans images. Je profite donc de ce blog pour montrer les œuvres que je cite dans le corps de mon texte. 

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    Emmanuel Frémiet, Gorille enlevant une femme, 1887, Nantes, musée des Beaux-Arts

     

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     Alexandre Cabanel, Nymphe enlevée par un faune, 1860, Lille, palais des Beaux-Arts

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    Bernin, Enlèvement de Proserpine, 1622, Rome, Galleria Borghese

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    Corrège, Enlèvement de Ganymède, vers 1532, Vienne, Kunsthistorische Museum

     

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    Michel-Ange ?, Enlèvement de Ganymède, 1533, Cambridge (Mass.), Fogg Art Museum

     

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    Enlèvement de Ganymède, copie romaine d'un original grec, Venise, Museo archeologico

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     Pierre et Gilles, Ganymède, triptyque, 2001, Collection François Pinault

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     Titien, Enlèvement d'Europe, 1562, Boston, Isabella Stewart Garner Museum

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     Giambologna, Enlèvement d'une Sabine, 1583, Florence, Loggia dei Lanzi

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    Rubens, Enlèvement de Proserpine, vers 1615, Paris, muse du Petit-Palais

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    Rubens, L'Enlèvement des filles de Leucippe, 1616, Munich, Alte Pinakothek

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    attribuée au Peintre de Salting, Borée enlèvant Orithye, œnochoé à figures rouges, vers 360 avant J.-C., Paris, musée du Louvre





     

     

     

     

     


     

  • Envers et contre tous

     

    Les actes du colloque Art et violence organisé par René Démoris, Florence Ferran et Corinne Lucas Fiorato et qui s'était tenu à l'Université de Paris 3 - Sorbonne nouvelle en décembre 2010, viennent de paraître aux éditions Desjonquères.

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    Ma contribution à cette belle publication s'intitule :

      Envers et contre tous. La vie d'artiste selon Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville.

    Dans son Abrégé de la vie des plus fameux peintres (Paris, 1745, 2e éd. 1762), Dezallier d'Argenville décrit les efforts des artistes pour s'imposer dans une société qui se montre parfois hostile à l'expression de leur génie créateur. Les vies de Joseph Parrocel et de Noël-Nicolas Coypel sont très significatives à cet égard.

    Parrocel, peintre de bataille, s’est acquis une réputation d’artiste au caractère fiévreux, inventeur d’images sanglantes et furieuses. « Trop sincère pour être courtisan » nous explique Dezallier d’Argenville, Parrocel critiquait le caractère et la peinture de Van der Meulen, son concurrent direct, disant que « ce peintre ne savait pas tuer un homme ». Les biographes de Parrocel insistent sur ses conflits avec Jules Hardouin-Mansart dont il sort vainqueur par la seule qualité de son art. La figure de l’artiste fougueux qui déjoue les intrigues et l’emporte sur les gens de cour les plus en vue, plaît visiblement à Dezallier d’Argenville qui rapporte les péripéties et les bons mots à l’avantage du peintre.

    À l’inverse, la vie de Noël-Nicolas Coypel est émaillée d’humiliations et d’échecs qui se terminent par sa ruine financière. La mort de l’artiste est même mise directement en relation par ses biographes avec les procès et contrariétés qui empoisonnèrent son existence lors de son dernier et ambitieux chantier. Dezallier d'Argenville dresse un portrait attachant de cet homme prêt à tout sacrifier pour la grandeur de son art, quitte à y laisser sa fortune et sa santé.

    L’étude de ces deux carrières met en lumière les procédés historiographiques de Dezallier d'Argenville : celui-ci s'appuie autant sur les triomphes que sur les échecs pour réaffirmer le concept de la grandeur de l’artiste qui cherche à s'imposer envers et contre tous.


  • Giovanni Battista Cima da Conegliano (1459-1517)

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    Avouons-le humblement, c'est une redécouverte. Certes, il y avait le beau tableau du musée du Louvre, quelques toiles repérées de musées en musées, mais la sélection proposée par le musée du Luxembourg est proprement éblouissante, et l'on découvre avec cette exposition une peinture portée à un rare niveau d'incandescence. Nous sommes les témoins comblés de ce que la Renaissance de la fin du Quattrocento a pu produire de plus délectable en termes de grâce, de mesure et d'harmonie.

    L'histoire de la peinture vénitienne passe habituellement de Giovanni Bellini à Giorgione puis à Titien. On sait bien sûr que le mouvement est plus complexe, mais autour de cette question des précurseurs du grand éveil de la Renaissance vénitienne du XVIe siècle, Cima était souvent omis, tenu à la marge. Le voici célébré ; ce n'est que justice. Tardive mais éclatante.

    Élève probable de Bellini, il en subit incontestablement l'influence heureuse. Il incarne avec lui ce moment d'équilibre de la Renaissance, ce tournant déterminant autour de 1500 qui fit passer l'art de cette légère raideur archaïque si savoureuse des maîtres du Quattrocento à la manière souple et moderne des compositions de la Haute Renaissance.

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    Sainte face, Londres, National Gallery

     

    Cima da Conegliano réalise la synthèse, sans marque d'éclectisme, des avancées de la peinture de son temps dans le domaine de l'invention, de la composition, du dessin, et dans cette recherche de grâce et de douceur propre aux premières années du XVIe siècle de Florence à Venise. On y retrouve naturellement la science de la couleur et de la lumière de Bellini, mais aussi la noblesse et la mesure d'un Piero della Francesca, le goût pour les architectures peintes du même Piero ou de Mantegna. Cima aime également, à l'instar des Florentins du Quattrocento, faire la démonstrations de sa maîtrise de la perspective. Le catalogue de l'exposition insiste également sur les liens avec la sculpture et l'on songe en effet à la douceur monumentale des oeuvres des frères Lombardo, très proche de l'art de Cima. Mais tout ceci sans qu'il n'y paraisse, sans effort, en une synthèse nouvelle et harmonieuse. Ars celare artem.

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    Vierge à l’enfant entre saint Michel et saint André, vers 1496-1498 Parme, Galleria Nazionale


     


  • Une collection privée de dessins exposée au musée des beaux-arts de Rennes

     

    Christian et Isabelle Adrien sont des collectionneurs bien connus dans le monde de l'art ancien, en particulier dans le domaine du dessin. Le musée des beaux-arts de Rennes leur prête ses murs afin de montrer au public les plus belles feuilles de leur collection et d'en publier le catalogue scientifique. Comme l'explique Francis Ribemont, directeur honoraire du musée, dans l'avant-propos du catalogue, le principe d'une exposition présentant une collection privée dans un musée public n'est pas un geste anodin et aurait peut-être naguère soulevé quelques difficultés. Heureusement, les relations entre les musées, les collectionneurs et le marché de l'art ont beaucoup évolué ces dernières années. Ce qui reste toutefois encore un peu nouveau, c'est le caractère explicite de l'affichage de cette situation. L'exposition s'intitule en effet : Une collection particulière : les dessins de la collection Christian et Isabelle Adrien. Cette franche simplicité est plutôt rare car le plus souvent on opte pour un titre plus "poétique". Ce sera ainsi le cas pour une exposition prochaine au musée Jenisch à Vevey (Suisse) : La tentation du dessin.

    Mais le plus important reste naturellement l'intérêt des oeuvres présentées, ce qui est bien le cas ici avec un très bel ensemble de feuilles allant de la Renaissance au néo-classicisme, toutes écoles confondues. Le projet scientifique a été conduit sous la direction de Pierre Rosenberg. Nous avons participé à ce catalogue pour la rédaction d'une notice consacrée à un dessin original de Joseph Parrocel représentant le Triomphe de David.

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    L'œuvre date probablement de la dernière décennie de la vie de l'artiste, autour de 1700. De dimensions relativement importantes, elle illustre le goût de celui-ci pour les techniques mixtes et les «écritures confuses», mêlant librement les lignes, les taches, les traces de pinceau et les traits de plume. Le style de Parrocel est assez original au sein de la production de son temps. « Parrocel est nouveau dans tout ce qu’il a produit. On ne peut l’accuser d’avoir suivi aucun goût ; le ressouvenir de tout ce qu’il avoit vû, ne nourrissoit plus son génie ; il tiroit tout de son propre fond. » écrit Dezallier d’Argenville, son biographe au XVIIIe siècle.

    Ce Triomphe de David constitue en outre une sorte de résumé du parcours esthétique de son auteur : les deux côtés de la composition confrontent les deux pôles de son art. Il y a, d’un côté, sur la gauche, l’image de la vie militaire, ce rêve de guerriers, ces casques et ces armures, évocation qui se concentre dans le cavalier de dos en contre-jour, sur son cheval cabré, qui donne des ordres à ses troupes, silhouette admirable de nervosité et qui résume toute une inspiration de l’artiste. Et de l’autre côté, en pleine lumière, un groupe de jeunes filles charmantes, levant les bras, dansant et jouant de la musique, et dont les silhouettes sont animées par des accents de gouache blanche. Tout l’œuvre de Joseph Parrocel est comme tendu entre ces deux inspirations, l’une militaire et masculine, l’autre champêtre et féminine. Ce qui les unit, c’est la picturalité du traitement, la liberté des formes.

    Ajoutons un dernier mot sur le catalogue pour louer le travail de l'éditeur et cette très belle maquette, moderne et élégante.


  • Rétrospective Helmut Newton au Grand Palais

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    Il est facile d'avoir des préjugés sur Helmut Newton (1920-2004). Certaines de ses photographies sont si célèbres qu'elles ont figé quelque peu l'image d'un illustrateur à l'esthétique lisse et à l'érotisme bon chic bon genre. La remarquable rétrospective qui lui est consacrée au Grand Palais redonne à son œuvre sa juste mesure en mettant particulièrement en valeur le perpétuel renouvellement de son inspiration. Si son travail sur le corps contraint, sur le corps athélique est bien connu, il explore aussi d'autres sujets, réalisant des photos de camping, des polaroïds. On découvre également une belle série de portraits de célébrités : Karl Lagerfeld (jeune), Leni Riefenstahl (âgée), Salvador Dali (très âgé), Charlotte Rampling (éternellement jeune). L'accrochage souligne efficacement la liberté du regard d'Helmut Newton.

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    Notons que cette exposition se tient dans un espace du Grand Palais que nous ne connaissions pas, juste à côté de la grande nef. On y accède par une petite porte à gauche de l'entrée principale.


  • José María Sert au Petit-Palais

     

    Si le nom de José Maia Sert (1874-1945) reste encore peu connu du grand public, son art n'est pas ignoré des amateurs parisiens grâce à un décor aujourd'hui conservé au musée Carnavalet. L'exposition du Petit-Palais met en lumière l’œuvre de cet artiste décorateur très actif dans la première moitié du XXe siècle.

    Ce qui retient l'attention, ce n'est pas vraiment l'esthétique de l'artiste (sorte de Tiepolo goyesque égaré au XXe siècle), mais bien davantage la présentation de la méthode de travail d'un peintre de grand décor fidèle à une pratique qui plonge ses racines dans la grande tradition de l'art européen en ouvre depuis la Renaissance. On est ainsi captivé par la mise en rapport des projets, des maquettes, des dessins, des photos de modèles posant, d'animaux, de paysage, photos souvent ensuite mises au carreau pour préparer l'insertion de figures aux poses complexes dans de vastes compositions peuplées de silhouettes traversant l'espace.

    Autre point intéressant : les dernières sections présentent les décors de Sert pour de grandes institutions publiques en Europe et en Amérique. Il est alors permis d'y voir le reflet passionnant de la confiance dans les années trente des grandes nations occidentales en l'ordre mondial, sorte de confiance dans l'Histoire, le Progrès et la Civilisation. L'art de Sert est le meilleur exemple de cette illusoire foi en l'Histoire. A croire que l'inimaginable de la Seconde Guerre mondiale était proprement inimaginable.

     

  • Les nus de Degas au musée d'Orsay

     

    Une exposition sur les nus de Degas pourrait apparaître comme une manifestation assez convenue, une machine à succès. Les pastels de femmes au tub par exemple sont des images mille fois reproduites, des chefs d'oeuvre très populaires. Et puis on a encore en tête la remarquable exposition sur "le dernier Degas" à la National Gallery de Londres il y a quelques années. Qu'apporte alors de nouveau l'exposition du musée d'Orsay ?

    Elle commence doucement, sans brusquer le spectateur, avec une première section consacrée au "corps classique". Les dessins sont superbes : ce sont des académies sans fadeur, des études pour sa peinture. On songe à Pignon-Ernest. Tableaux et dessins sont mis en relation de façon très classique mais irréprochable.

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    La deuxième section présente "le corps en péril". Les choses commencent peu à peu à devenir sérieuses. Les premiers signes de l'originalité du tempérament artistique de Degas se font jour. On voit ses préoccupations, on suit ses recherches formelles, ses obsessions, entre autres à travers les copies dessinées d'après les maîtres (Delacroix, Ingres) dont les toiles (ou des réductions ou des variantes) sont également accrochées ce qui est très appréciable.

    La troisième section, centrée sur le "corps exploité" des prostituées, rompt avec la forme académique et signe la véritable inflexion de la trajectoire esthétique de l'artiste. Degas dessine des scènes ordinaires dans des maisons closes, des femmes qui se préparent, des clients qui s'avancent. Il y a peu de dessins érotiques, si ce n'est une représentation d'une scène d'amour saphique. Et le cartel de s'interroger : "Pratique commune ou fantasme masculin ?" Pourquoi pas les deux ! Mais ce qu'il y a de plus intéressant dans cette section est la technique utilisée à ce moment par Degas : le monotype (c'est-à-dire de l'impression sur papier d'un dessin préalablement réalisé sur une plaque de métal). Cette production est une vraie redécouverte. Le traitement stylistique, libéré du rapport à la peinture, est d'une superbe audace.

    A partir de ce moment, nous sommes vers la fin des années 1870, l'oeuvre de Degas gagne en maturité, en autorité. Le corps est étudié, décrit, rendu comme une forme qui ne tire son expressivité que d'elle-même. La mise en regard du travail de Degas avec celui d'autres artistes (Caillebotte, Manet, Renoir, Toulouse-Lautrec...) illumine le propos. L'exposition propose alors un accrochage totalement spectaculaire et la crainte de voir ce que l'on a vu cent fois s'est évaporée depuis longtemps.

     

     

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    Les dernières sections font encore croître, si cela était possible, notre émotion. La série de compositions dessinées au fusain, à l'huile ou au pastel crée un véritable choc. Tel un carpet bombing, la succession de ces nus fait presque courir le danger de rendre commun le chef d’œuvre. Il faut s'accrocher, rester concentré, car la formidable puissance de feu de Degas donne parfois le tournis !

     

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    L'exposition se conclut de manière savoureuse avec la postérité immédiate de l'art de Degas et les créations non moins géniales de Picasso qui se situent dans cette filiation.

    La démonstration est faite : il fallait cette exposition.

  • Un dessin inédit de Joseph Parrocel

     

    Un très beau dessin inédit de Joseph Parrocel représentant l'Adoration des bergers est passé en vente chez Artcurial, à Paris, le 28 mars 2012 (lot n° 87). La feuille est préparatoire à la gravure de même sujet du cycle sur les Mystères de la vie du Christ (n° MY.10 de notre catalogue Arthena) et fait partie d'un vaste ensemble de dessins préparatoires à ce cycle conservés au musée du Louvre.

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    L'Adoration des bergers

     Plume et encre brune, lavis brun et rehauts de gouache sur trait de crayon noir, H. : 143 ; L. : 190.

     Provenance : Collection particulière, Lyon.

    On retrouve dans cette feuille d'une grande liberté d'écriture toutes les caractéristiques du style de Parrocel : la superposition des techniques, le contour fébrile des silhouettes, la confusion des formes ou encore la différence de traitement graphique selon les figures.

  • La Sainte Anne de Léonard

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    A l'occasion de la restauration du tableau de Léonard de Vinci, La Vierge à l'enfant avec sainte Anne, le musée du Louvre organise une exposition mettant en perspective l'élaboration et la postérité de cette œuvre clé de la Renaissance italienne. Pour son exposition Léonard, après la manifestation londonienne de cet hiver, le Louvre n'a pas voulu rester en reste. Et ce qui aurait pu n'être qu'une exposition-dossier autour de la restauration elle-même et des dessins préparatoires a pris la forme d'une grande rétrospective monographique aussi ambitieuse qu'aboutie.

    L'exposition est organisée autour de deux mouvements. Le premier conduit vers l’œuvre : il détaille toutes les étapes préparatoires de l'élaboration progressive de la composition, les projets, les dessins et les versions successives. On découvre aussi avec un grand intérêt les copies réalisées par l'entourage du maître à partir des versions antérieures du projet. L'enquête est minutieuse et nous permet de comprendre le fonctionnement de l'atelier d'un grand peintre à la Renaissance. On mesure également l'extraordinaire curiosité que suscitait le travail de Léonard. Cependant la présence si nombreuses de copies peut déconcerter les visiteurs et nous avons entendu une dame qui, tombant enfin sur le tableau de Léonard, dit à son amie "Non, ça, c'est encore une copie, le tableau doit être à la fin". Une trop grande attente esthétique est souvent déceptive !

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    Le second mouvement de l'exposition part de l'œuvre, et, selon un mouvement inverse, suit la postérité du tableau. On mesure ainsi son importance au sein de la Renaissance, son influence sur Michel-Ange, sur Raphaël et sur les artistes du nord de l'Europe (Fascinante composition de Michel Coxie, La Sainte parenté, Kremsmünster, Stiftsgalerie !) et jusqu'à son écho au XIXe siècle et au XXe siècle, à travers les œuvres d'Odilon Redon et de Max Ernst.

    C'est définitivement une exposition très stimulante, très intelligente, exigeante aussi, trouvant dans un sujet d'étude précis et circonscrit la matière d'une réflexion en histoire de l'art qui tient autant de la rigueur que de la délectation. On songe à l'exposition d'une ambition comparable et d'une réussite égale qui s'était tenue dans les mêmes murs : Rembrandt et la figure du Christ.